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Critique de GeorgesSmiley


« D'un pas rapide, elle s'en alla, dans le clair soleil de juin, vers la pire horreur qui fût. »
Ceci est la dernière phrase du livre, autant dire que c'était noir, vraiment très noir.
Dans le joyeux décor de bord de mer et de fête foraine mêlés que devait être Brighton en 1938, Graham Greene dépeint la « lower-class », celle qui ne peut s'offrir comme plaisir luxueux qu'un bock de bière ou la friandise qui donne son nom au roman. Enfances saccagées, apprentissage précoce du crime et de la cruauté, innocence bafouée, demi-sels éliminés comme des insectes par un jeune chef de bande aussi psychopathe que sexuellement inhibé, le décor est sombre, la fête vire à l'aigre. Une jeune serveuse, témoin indirect du premier meurtre, pourrait être gênante pour le jeune gangster que Greene appelle le Gamin. Il s'assure qu'elle n'a pas été contactée par la police et qu'elle ne dira rien. La pauvre fille est-elle amoureuse de lui ? Il la hait. Jamais une plainte, toujours contente, pour lui, elle n'est qu'un meuble : « elle lui appartenait comme une chambre ou comme une chaise». Pour qu'elle ne risque pas témoigner pas contre lui, il va jusqu'à l'épouser en achetant le consentement de ses parents. Mon Dieu, le jour du mariage ! Les quarante-cinq pages qui y sont consacrées (version poche) sont un sommet du roman. Rose, elle s'appelle Rose, va subir tout ce qu'il est possible de subir, on atteint le sublime du sordide et c'est pourtant le plus beau jour de sa vie. le lendemain matin, elle s'étonne juste de ne pas avoir à travailler.
Et Dieu, là-dedans ? On sait que Graham Greene s'est beaucoup interrogé sur Dieu, ses romans en témoignent. Ici, les deux « amoureux » ont eu une enfance catholique, le jeune chef de bande a même pensé un instant se faire prêtre avant de choisir la damnation. le Mal a gagné, le Gamin y entraîne sa victime, complice consentante. La police ne voit rien et ne veut rien voir, le scénario est implacable et inexorablement s'enchaînent les meurtres de sang froid, prémédités, glaçants.
Un seul personnage échappe à la noirceur et ose défier la fatalité dont tous les autres personnages s'accommodent. « Ida Arnold était du bon bord. Elle était gaie, elle était bien portante, elle était capable de prendre une petite cuite avec les meilleurs d'entre eux. Elle aimait s'amuser, sa grosse poitrine proclamait franchement le long de l'Old Steyne, sa charnelle générosité, mais l'on avait qu'à regarder Ida pour savoir qu'on pouvait compter sur elle. Ce n'est pas elle qui irait raconter des histoires à votre femme, elle ne vous rappellerait pas, le lendemain matin, les choses que vous préférez oublier, elle était honnête, elle était bienveillante, elle appartenait à la grande classe moyenne respectueuse des lois ». Doit-on lui faire endosser le costume de l'envoyée du Dieu de Miséricorde en la transformant en une Madone bienveillante ? A chaque lecteur de décider. le peut-on ? Assurément, car face à l'ultime abjection qui, on le pressent, va clore le roman, il n'y a qu'elle, Ida avec sa grosse poitrine, son rire un peu gras, son à-propos et son souci des autres, les faibles à qui elle tend la main.
Le final est terrifiant d'angoisse, on en sort nerveusement épuisé. Un grand roman inoubliable !
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