AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Nastasia-B


L'histoire se présente ainsi : Tchatski, membre de l'aristocratie russe, mais assez peu fortuné ni sans beaucoup d'appuis, revient à Moscou après trois années passées à l'étranger dans de lointaines provinces.

Celui-ci espère retrouver celle qui faisait battre son coeur avant son départ, celle qu'il connaît et côtoie depuis l'enfance, celle qui lui était destinée en quelque sorte, Sofia, fille d'un haut fonctionnaire, Famoussov.

Cependant, l'accueil reçu par Tchatski de la part de Sofia n'est pas exactement à la hauteur de ses espérances. La belle semble avoir tissé d'autres liens, aussi affectifs que secrets durant ces trois dernières années, notamment avec Moltchaline, le secrétaire particulier de son père.

Famoussov lui-même se soucie de Tchatski comme d'une guigne. À la vérité, le père verrait d'un mauvais oeil le fait que sa fille se lie avec cet exilé sans le sou et use de tout son poids pour indiquer à celle-ci un parti qu'il juge plus avantageux avec un jeune colonel, Skalozoub.

Tchatski arrive donc tel un chien dans un jeu de quilles au milieu de cette vie mondaine russe à laquelle il n'est plus habitué. Il est le témoin de l'étalage d'hectares de cirage sur les pompes d'une myriade d'hommes de pacotille, qui tous se hissent sur la pointe des pieds pour dépasser d'un cheveu leur voisin.

Chacun bombe le torse, chacun fait des courbettes devant, casse du sucre derrière, avec le plus beau des sourires à la cantonade. Cooptation et népotisme sont les deux mamelles qui nourrissent l'avancement et la reconnaissance publique dans ce monde.

Et le talent ? s'interroge Tchatski. de talent il ne semble guère question dans la vie mondaine, sauf à considérer cet art de louvoyer, de s'abaisser, de flatter, de trahir, de calculer et de se faire valoir comme un véritable talent.

Je ne vous en dis pas plus et vous laisse donc entendre sans ambages qu'il s'agit d'un brûlot fort corrosif adressé par Alexandre Griboïedov à toute la haute société russe de 1825, à toute cette vie mondaine et faite de courtisans veules et hypocrites. Cette même société qu'on voit étrillée un peu partout en Europe à cette même époque, en France par Balzac ou Stendhal, notamment.

C'est très intimement autobiographique et Tchatski n'est autre que Griboïedov lui-même. D'ailleurs, comme Balzac ou Stendhal, on ne parle jamais si bien de cette société et de ses travers que quand on les a vécus soi-même. Lui, le diplomate Griboïedov, parti trois années en Perse et dans le Caucase, qui se sentira tellement mal à l'aise à Moscou à son retour qu'il n'aura de cesse de repartir, avec la fin tragique que l'on sait...

En outre, il me faut dire un mot ou deux de la traduction d'André Marcowicz. J'avais déjà abordé cette question à propos de son contemporain Pouchkine et en particulier sur la traduction d'Eugène Onéguine. Il ne fait aucun doute qu'André Marcowicz est un grand traducteur et que traduire en vers une oeuvre en vers est une gageure des plus irréalisables.

Il s'en tire. Bien, là est une autre question, mais il s'en tire. Il faut tellement contraindre le français, tellement entortiller les notions pour arriver à faire rimer " vrai ", avec " secret ", que, malgré tout le talent du traducteur, le texte est fade voire nébuleux.

On perd toute la fluidité, toute la jubilation caustique à vouloir rimer coûte que coûte. Selon moi, le texte y perd, et grandement. Je n'ai pas pris le plaisir que j'aurais dû et pire, je n'ai pas ri ou souri autant que le russe le prévoyait car le français, à jouer le contorsionniste, a fait tomber quelque chose que je n'ai pas retrouvé, même en regardant les morceaux brisés sous l'équilibriste.

Comme pour Eugène Onéguine, je pense qu'une version non rimée est souhaitable. Voilà pourquoi il ne me restera vraisemblablement pas un très grand souvenir de cette comédie satirique pourtant très réputée en Russie.

Il convient néanmoins de garder toute prudence vis-à-vis de cet avis qui ne signifie pas forcément grand-chose car contrairement à Tchatski, je ne souffre pas du malheur d'avoir trop d'esprit (titre sous lequel la pièce est plus généralement traduit en français).

Commenter  J’apprécie          712



Ont apprécié cette critique (65)voir plus




{* *}