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Critique de seblack


Ce livre rassemble deux petits textes écrits après guerre par Vassili Grossman. le premier est intitulé la Madone sixtine et a été écrit en 1955. le second porte le titre de Repos éternel et a été rédigé entre 1957 et 1960. Ce dernier texte est une description du cimetière de Vagankovo à Moscou, un cimetière décrit comme une entité vivante où on se bouscule les dimanche de printemps pour se recueillir, entretenir les tombes ou simplement passer un moment avec ses défunts. de là Grossman tire une réflexion sur le lien ténu et fragile entre les vivants et les morts. Une réflexion touchante et réaliste qui aborde également les réelles difficultés de faire enterrer ses morts là où on le souhaite sous le régime soviétique : mensonges, pot-de-vin, démarches administratives à n'en plus finir...Autant d'aspects qui révèlent les enjeux affectifs que recèlent l'inhumation de ses proches pour ces moscovites.
La Madone Sixtine est, à mes yeux, le texte le plus bouleversant de ce recueil. Il s'agit d'une réflexion sur le pouvoir du tableau de Raphaël à travers les âges. Ce tableau avait été emporté du musée de Dresde à Moscou après la guerre. En 1955, le gouvernement soviétique décide de le rendre à l'Allemagne avec un certain nombre d'autres oeuvres de grands maîtres. Avant son retour, il fut exposé pendant quatre-vingt-jours à Moscou. Vassili Grossman fut un des nombreux visiteurs de cette exposition et nous décrit les impressions que lui ont laissées cette Madone exceptionnelle. Une Madone, qui d'ailleurs avait déjà inspiré nombre d'écrivains. Ce fut notamment le cas d'écrivains romantiques allemands (Novalis, Schlegel par exemple) mais aussi du poète russe Ogarev ou encore de Dostoïevski et de Tolstoï.
Grossman restitue de manière touchante les émotions qui l'ont traversées à la vue de cette jeune mère et de son enfant. Une figure universelle qui traverse toutes les cultures et qui résume ce qu'est la vie, l'humanité de la Renaissance à ce terrible XXème siècle :

« Ce tableau nous dit combien la vie doit être précieuse et magnifique, et qu'il n'est pas de force au monde capable de l'obliger à se transformer en quelque chose qui, tout en ressemblant extérieurement à la vie, ne serait plus la vie.
La force de la vie, la force de ce qu'il y a d'humain en l'homme est immense, et la violence la plus puissante, la plus absolue, ne peut asservir cette force, elle peut seulement la tuer. C'est pour cela que les visages de la mère et du fils sont si sereins : ils sont invincibles. En ces temps de fer, la mort de la vie n'est pas sa défaite. »

Un texte qui est aussi une réflexion sur l'art en général. Oh pas celle d'un historien de l'art tatillon, féru de concepts intellectualisants et prétentieux. Non, la réflexion d'un écrivain qui réfléchit à cette capacité extraordinaire de l'art à nous bouleverser. Avec cette remarque à la fois originale et pourtant décisive :

«  Si nous connaissons les réactions thermonucléaires qui transforment la matière en une puissante énergie, nous sommes encore incapables aujourd'hui de nous représenter le processus inverse » sous entendu comment l'énergie d'un artiste parvient à créer une matière qui elle même va produire ce flot d'émotions qui peut nous submerger à la vue d'une peinture. C'est simple, sans prétention et espérons que jamais aucun nous ne saurons les mécanismes mystérieux aboutissant à cela. le mystère de la création. le mystère des émotions…
Mais Grossman est aussi un homme de son temps. Il a été le témoin de bien des horreurs. Et il s'interroge. Il s'interroge sur le regard de cette femme, sur le regard de cet enfant qui n'est déjà pas un regard d'enfant. Que regardent-ils ? Que voient-ils ? A quoi pensent-ils ? Grossman cherche au plus profond de sa mémoire à quoi le ramènent ces figures de vie au regard grave, au regard perdu…et pourtant si vivants. Très vite l'auteur comprend que cela le ramène à toutes les figures tragiques de ce terrible siècle de fer : cette madone c'est la mère tenant son enfant à Treblinka (Grossman fut un des premiers à voir et décrire l'horreur des camps de la mort). Cette madone, c'est cette femme ukrainienne lors de la terrible famine de 1930. Cette madone, c'est cette femme russe que la police politique vient arracher aux siens en 1937. Cette madone c'est la figure éternelle des persécutés. Des regards qui traversent les siècles, les continents, les tragédies. Des regards obsédants. Des regards tragiques mais des regards humains. Des regards indestructibles, inoubliables. Et tant qu'il y aura ces regards là continueront à exister, à nous obséder, à nous émouvoir c'est que la part d'humain en nous sera vivante. Bien au-delà de la mort.
Il est franchement difficile de retranscrire les émotions que suscitent ce texte. Il faut le lire. Parce que c'est beau. Parce que c'est beau à pleurer.
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