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Critique de Dandine


Je dois etre un grand malade (ou alors c'est du vice?), autrement comment expliquer que j'enchaine, apres La foire aux serpents de Crews, avec ce livre, qui est encore plus horripilant, qui m'a angoisse, qui m'a carrement cause des douleurs thoraciques? Parce que dans ce livre la terreur regne, omnipresente a chaque page, des le debut. Et il m'a pourtant fascine. Je dois decidement etre un grand malade.


C'est le recit de la traque d'un precheur pervers, le mal personnifie, qui poursuit deux enfants, qui veut leur soutirer un secret qu'ils ont promis de garder envers tout le monde, y compris leur mere, et il est clair que s'il y arrive leurs vies ne tiennent meme pas a un fil. Comme la vie de leur mere. Comme la vie de nombreux autres qui ont ete victimes du precheur. Un precheur envoye par le diable repandre dans les campagnes la parole de Dieu. Et le sang. Entre deux preches, entre deux rassemblements religieux qu'il organise, entre deux meurtres, il soliloque: “Dieu lui avait parlé clairement et lui avait dicté ce qu'il devait faire. le couteau sous la couverture de laine, l'épée de Jéhovah sous ses doigts irrités. Dieu lui envoyait les gens. Dieu lui disait quoi faire. Et c'était toujours une veuve que Dieu lui amenait. Une veuve avec un petit magot enfermé dans le sucrier de la salle à manger et un petit peu plus sans doute à la banque du comté. le Seigneur y pourvoyait. Parfois ce n'étaient que quelques centaines de dollars, mais il remerciait tout de même le Seigneur quand c'était tout fini et que tout était nivelé et qu'il n'y avait plus même une seule gouttelette écarlate sur les feuilles des bois riants où cela s'était terminé et que l'épée de Dieu était de nouveau essuyée et nette — prête de nouveau. […] Toujours des veuves. Des veuves gloussantes, agréables, stupides, qui voulaient s'asseoir seules avec lui devant un petit bureau poussiéreux et renflé, dans un petit salon dont l'air n'était pas encore débarrassé de l'odeur douce et nauséeuse des fleurs qui avaient servi aux funérailles du mort. Veuves grasses, minaudières, excitées, qui flirtaient et faisaient fébrilement battre leurs cils et le frôlaient en cherchant sa main de leurs doigts grassouillets encore gluants des chocolats achetés chez le pharmacien ; douces mains promises à la mort qui amenaient chez lui des haut-le-coeur et l'obligeaient à se maîtriser pendant qu'il se tournait vers le visage poudré, souriant et parlant de la prévoyance de Dieu qui leur avait permis de se trouver ensemble. Et ensuite il y avait le petit rouleau d'argent ; de cet argent qui permettait de se mettre en route et de prêcher la parole de Dieu au sein d'un monde de prostituées et d'imbéciles. Dieu s'occupait de l'argent. Dieu lui amenait des veuves. […] il aimait à sentir s'éveiller en lui toute sa puissance spirituelle, mêlée de haine et de colère saintes envers les masses nauséeuses de prostituées et de débauchés qu'il voyait par les nuits d'avril dans les rues surpeuplées de cette fluviale et fourmillante Sodome. […] dans sa chambre d'hôtel à un dollar, il pouvait se tapir sous la vive lueur qui ruisselait au-dessus du lit de cuivre, compter ses ressources et penser en lui-même : L'heure est-elle venue de partir de nouveau pour prêcher dans le monde ? Ou est-ce l'heure d'une autre ? N'est-ce pas encore l'heure, Seigneur? L'heure pour une autre veuve ? Formule ta décision, Seigneur ! Formule seulement ta décision et je me mets en route ! […] Seigneur, ne me reposerai-je jamais ? Seigneur, ne diras-tu jamais le mot qui signifiera que ma tâche est terminée ? Une autre, Seigneur ? Très bien, Seigneur ! […] Il était l'ange noir porteur de l'épée du Dieu vengeur”.


Il a par hasard, pour un petit delit, partage la cellule de prison d‘un condamne a mort qui a cache 10.000 dollars. En sortant il s'empresse de rejoindre la veuve et comprend vite que ce sont ses deux enfants qui savent ou est cache le tresor. Une fillette de 4 ou 5 ans et un gosse de 9 ans, qui sent que lacher le secret est un danger. Et la traque commence… et la tension narrative t'attrape a la gorge…


C'est comme si j'etais retourne en enfance. Quand j'ecoutais, atterre, les aventures de gosses perdus dans une foret obscure, que j'avais peur que la sorciere n'arrive a manger Hansel et Gretel, quand les epouses assassinees de Barbe Bleue peuplaient mes cauchemars. Parce que c'est ce que j'ai vu dans ce livre, un remake de contes d'horreur, reunis en un seul scenario qui les comprend tous, avec l'intention cette fois-ci de stupefier de grandes personnes, de les epouvanter comme s'ils etaient des marmots.


Et tout cela dans le contexte des campagnes misereuses sudistes de la grande depression des annees 30. de l'Erskine Caldwell ou du John Steinbeck a la sauce noire. La sauce noire mexicaine d'epices brulees? Plutot la sauce noire d'ames brulees.


Mais il y a plus dans ce livre que son cote noir, gothique. Avec l'apparition d'une femme forte qui accueille les enfants en cavale, il devient une allegorie du combat du bien contre le mal, pour proteger l'innocence (ou de l'amour contre la haine, les mots que le precheur porte tatoues sur ses doigts).


Le vilain de l'histoire etant precheur, la Bible est tres presente, aussi et surtout dans l'interpretation perverse et en realite immorale qu'il fait de ses commandements, de ses enseignements, des directives de ses prophetes et ses apotres. Un des grands themes de ce livre serait donc pour moi la corruption de toute religion par des fanatiques qui denaturent le message d'amour qu'elle porte (que toutes portent) et essayent de “l'instaurer" par la force (l'Epee de Jehovah, le Glaive de l'Islam, la Sainte Croisade chretienne). Encore une fois, comme les doigts tatoues du precheur, toute religion peut etre religion d'amour ou religion de haine, et c'est a ses ouailles de choisir. Deja la Bible les en enjoignait: “J'en atteste sur vous, en ce jour, le ciel et la terre: j'ai place devant vous la vie et la mort, la benediction et la malediction; et vous choisirez la vie, pour que vous puissiez vivre, vous et votre posterite (Deuteronome, 30, 19).


Dans quel periple, psychique et intellectuel, m'a entraine ce livre! J'ai commence perturbe, avec de vieilles peurs oubliees qui se sont reveillees, angoisse, et je finis reflechissant autour de vieilles paroles de vie et d'espoir. Et tout ce periple, en un tournemain. Parce qu'il se lit rapidement. On est oblige de le lacher de temps en temps, pour se calmer un peu, pour reprendre sa respiration, mais on y revient tres vite. Il est fascinant. Envoutant justement par sa demesure outranciere, alors que tous ses dialogues sonnent juste, comme une realite qui s'introduit dans le conte.


Qu'est-ce que je disais? Que je dois etre un grand malade? Pas si sur, en fin de compte. J'enchaine les genres, des fois. Rien de bien grave… Surtout si j'apprecie…


P.S. Si vous n'avez pas encore vu le film qu'en a tire Charles Laughton, avec l'excellent Robert Mitchum, courez le chercher!
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