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4,02

sur 591 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
♫ Tombe la neige, tu n'partiras pas ce soir...♫
Ni ce soir, ni demain, ni la semaine prochaine, ni dans un mois... Parce que l'hiver vient à peine de s'installer, et qu'il ne lâchera pas prise avant le printemps, et qu'il fera tomber tellement de neige que ce village, perdu dans la montagne et les grands espaces, va s'en trouver paralysé jusqu'au redoux, et ses habitants, coincés itou. Et dire que tu aurais pu partir à temps, mais qu'on t'a imposé, sans te demander ton avis, ce jeune accidenté de la route, gravement blessé aux jambes et que personne d'autre ne peut/veut accueillir. Malgré l'urgence que tu ressens à retourner dans ta ville, toi qui t'es égaré dans ces contrées isolées, tu n'as d'autre choix que d'accepter, même si c'est de mauvais gré. Aah, Matthias, vieil homme grincheux, tu ne sais pas encore à quel point le temps va te sembler long, dans ce palais des courants d'air sans électricité, à jouer les gardes-malades autour du poêle à bois pour ce jeune homme peu bavard (et pourtant narrateur de votre histoire). Un temps sans fin à peine égayé par les rares visites des bonnes âmes venues vous ravitailler en vivres, bois de chauffage et nouvelles du village. Un temps long qui vous oppresse comme cette neige qui pèse de plus en plus lourd sur le toit de votre véranda et sur tes espoirs de quitter ce bled au plus vite. Et quand on sait que "c'est quand rien ne se passe que tout peut arriver", on attend que quelque chose advienne, pour le meilleur ou pour le pire.
Sans vague de chaleur ni humaine ni météorologique, ce huis clos est pareil à la neige, blanc et froid, mais loin d'être toujours lumineux. On sait peu de choses des personnages, on prend leurs vies en cours de route, le reste est nimbé d'un vague mystère, d'une menace sourde, d'un environnement post-apocalyptique. Dans de telles conditions où on lutte contre les blessures du jeune, l'impatience du vieux, la faim et le froid, la tension monte, forcément, les frustrations se révèlent, les vérités s'assènent, le conflit se noue et éclate. Puis le calme après la tempête, mais que va-t-il en ressortir ? Une rédemption ? Je me suis demandé si ce livre avait un sens religieux caché, tant j'ai été frappée par les prénoms des personnages. On ne connaît pas celui du narrateur, mais pratiquement tous les autres sont des prénoms bibliques, et une écrasante majorité d'entre eux commence par la lettre "J" : José, Joseph, Jonas, Jean, Jude,..., sans parler du triangle Maria-José-Joseph. C'est d'autant plus curieux que l'histoire se déroule sous les auspices du mythe de Dédale et Icare.
Enfin, quoi qu'il en soit, ce roman au style âpre et implacable est tendu d'ennui et surtout d'attente de ce qui va se passer alors qu'il ne s'y passe que peu de choses. Un paradoxe, un fameux risque pris par l'auteur, et  en ce qui me concerne, une réussite.

En partenariat avec les Editions J'ai Lu via une opération Masse Critique de Babelio.
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Dans un lieu et un temps indéterminés, deux hommes sont contraints de cohabiter. Isolés dans la véranda d'une maison abandonnée, à l'écart du village, dans un monde chaotique où l'électricité est coupée depuis des mois, où les vivres sont rationnées, le narrateur et un vieil homme vivent en vase clos alors qu'au dehors l'hiver installe son cortège de neige, froid et tempêtes. Mathias, bloqué ici par la pénurie d'essence, ne pense qu'à retourner en ville où sa femme l'attend, le narrateur, lui, a été victime d'un accident de la route. Mal en point, les jambes broyées, il a été confié à Mathias contre de le nourriture, du bois de chauffage et la promesse de faire partie du premier convoi quittant le village au printemps. Mais l'hiver prend tout son temps et les deux hommes s'installent dans une routine perturbée seulement par des visites qui se raréfient au fur et à mesure que les habitants désertent le village.

Un huis-clos hivernal dans lequel deux hommes se tolèrent, s'apprivoisent, s'affrontent, s'entraident. Ils ne se sont pas choisis, sont victimes de conditions extrêmes, ne peuvent compter que l'un sur l'autre et sur la solidarité de quelques villageois, de moins en moins nombreux au fil des mois. le jeune, diminué, mutique, entièrement dépendant pendant sa longue convalescence observe le vieux, énergique, pressé par le temps, contraint de jouer les infirmiers. Et plus loin, il y a le village qui lutte aussi, contre la neige, contre les incivilités, la violence qui couve à mesure que les stocks de vivres diminuent, les trahisons de ceux qui cherchent à fuir en cachette...
Il ne se passe pas grand chose dans ce récit d'une ère glaciaire et primitive mais on ressent la tension, la variation des sentiments entre les deux protagonistes et le poids de cette neige qui s'amoncelle, implacable et potentiellement mortelle. Un décor blanc, stérile, des personnages évanescents et la survie à tout prix...de bons ingrédients pour un livre qu'on lit d'une traite, happé par le destin de ces deux hommes seuls au monde. Mais l'auteur garde ses secrets, on ne saura jamais pourquoi l'électricité est coupée, si Mathias retrouve sa femme, si le narrateur retrouve les siens, si ailleurs la vie a repris son cours normal... Une belle lecture de saison.
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Une panne d'électricité dans un village de montagne, la neige tombe inexorablement centimètre après centimètre, engloutissant tout.
Le décor est planté et peu à peu, l'angoisse va s'installer. Dans ce monde en perdition, les villageois tentent de s'organiser et de survivre.
On va suivre deux hommes qui sont bien malgré eux, confinés dans une maison un peu délabrée, ouverte aux quatre vents.
L'un d'eux a été victime d'un très grave accident de voiture alors qu'il s'apprêtait à revenir dans ce village qu'il avait quitté 10 ans auparavant, se retrouve pris au piège de cette nature hostile et est obligé d'attendre comme tous les autres la fonte des neiges pour un hypothétique départ.
Avec des mots d'une justesse incroyable, une langue d'une infinie poésie, Christian Guay-Poliquin tisse sa toile, joue avec nos nerfs, et nous étouffe. Page après page, nous sommes prisonniers de cette atmosphère qui oscille en permanence entre le roman d'anticipation, la fable écologique et une déclaration de résistance.
Certes, il ne se passe pas grand-chose dans ce roman, ce qui peut déranger, mais pour ma part, je me suis laissée envouter par cette magie blanche.
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Si vous êtes capable d'endurer le sentiment d'oppression, de désarroi, d'anxiété que peut provoquer la neige et l'hiver, alors cette lecture est pour vous.
Car oui la neige, les tempêtes, peuvent être anxiogènes, peuvent faire naître le malaise.
Christian Guay Poliquin joue avec la neige et en fait son immense personnage principal et il nous laisse le temps, le temps de l'apprivoiser.
Le portrait ? Un petit village perdu, l'électricité est coupée, il n'y a plus aucun moyens de communication. Et, comme la situation perdure, l'essence, la nourriture sont rationnées, car malheuresement, tout de la quotidienneté viendra à manquer. Et la neige ne finit plus de s'amonceler.
Voilà que le narrateur, que l'on ne nomme jamais , après 10 ans d'absence, revient dans son village pour revoir son père. Mais presqu'en arrivant, il a un accident qui lui brise les jambes. Il est retrouvé par des gens du village qui finissent par le reconnaitre. Ses proches, oncles et tantes ne peuvent s'occuper de lui car ils ont décidé de partir, de tenter de mieux vivre à leur camp de chasse. Notre narrateur handicapé, mal en point, sera donc recueilli par le vieux Matthias qui le soigne. Tous les deux, ils tenteront, tant bien que mal, de s'endurer, de s'acclimater, lui couché dans un lit dans la véranda et ce vieil homme qui le nourrit, le lave, lui offre la survie. Mais tous les deux sont pris au piège de l'hiver, au piège de leur vie à deux, seul.
C'est un roman où tout n'est pas dit. On ne connaît pas l'origine de la panne d'électricité, du chaos provoqué, de ceux qui tentent de survivre. Par contre, on nous dit tout sur la neige, sur le vent, sur le verglas, sur les bancs de neige, sur les redoux et les coups de froid.
C'est un roman d'une belle écriture, simple mais riche, teinté d'une ambiance tellement authentique, tellement réelle qu'elle en devient d'autant plus angoissante.
À lire pour un dépaysement garanti.
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J'ai lu plusieurs livres de la même veine :encabanée, les désossés que j'avais bien appréciés. Je me suis précipitée sur celui-là, sans faire attention qu'il n'était que la suite de "le fil des kilomètres" heureusement les deux peuvent se lire indépendamment.
C'est un huis clos que nous offre l'auteur. Un homme, mécanicien, venant voir son père malade au village, a eu un très grave accident de voiture , les villageois le recueillent et l'amènent dans un chalet inhabité où Matthias, un vieil homme acariâtre s'est réfugié, après une panne de voiture.
Dehors, c'est le ko, l'auteur entretient le flou sur la situation , donnant peu de détails, mais on comprend qu'il y a une panne d'électricité dans tout le pays, que les vivres et l'essence se font rares, que des pillards s'attaquent aux habitants et aux maisons, que des milices s'organisent.
Les gens du village, qui sont encore là, essaient de fuir vers les villes quand ils le peuvent, ils s'organisent pour les vivres, ils vont à la chasse. Matthias attend le prochain convoi pour partir retrouver sa femme. En attendant, il devra s'occuper du blessé.Il le soigne, lui fait la cuisine, le distrait. le chalet est isolé du village, c'est l'hiver et les routes sont enneigées et impraticables. Les villageois passent de temps en temps pour leur apporter des vivres et la vétérinaire, Maria, surveille les plaies du blessé. Sinon, nos deux colocataires sont seuls, face à face dans un endroit exigu, sans autre distraction qu'un jeu d'échecs et quelques livres. Ils sont liés l'un à l'autre, livrés à leur triste sort, piégés dans ce chalet. Matthias, avec le temps, devient irascible, nerveux et prépare en douce son départ, le blessé se remet peu à peu et commence à se mouvoir. Il voit Matthias disparaître souvent dans la neige, pendant quelques heures et se doute qu'il mijote quelque chose. Ce face à face peut à la longue révéler la part d'animalité cachée en chacun et la cohabitation peut vite dégénérer. Matthias manifeste des signes de violence avec le temps, il est obsédé par l'idée de partir. Les jours s'étirent péniblement, le temps se dilate, la neige continue de tomber sans discontinuité.
L'auteur a écrit un livre où les personnages sont à l'arrêt, figés dans un décor de neige, il décrit magnifiquement l'ambiance suspendue, les heures qui s'étirent, les jours qui passent et rien ne se passe. La neige commence à fondre et les gouttes d'eau s'infiltre dans le toit et tombent sur le parquet sans arret,floc floc .... On attend le clash mais surviendra t'il ?
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Le poids de la neige est un roman écrit par un écrivain québécois, Christian Guay-Poliquin, auteur que je découvre ici, dans le cadre de la sélection du prix littéraire Cezam 2019.
Ce sont des pages emplies de silence et de blancheur. Le paysage vient progressivement se mélanger aux pages qui nous invitent au voyage, la blancheur est tout d'abord comme un étonnement, une lumière et bientôt peu à peu devient lourde, comme obsédante, la neige vient alors peser sur les ramures des arbres, les toits des maisons et les pages que nous égrenons. C'est une neige qui règne sans partage.
Nous ne savons pas grand-chose de ce qui s'est passé avant que ne débute le récit. On dirait que plane le souvenir d'un drame encore récent...
Un homme au bord d'un village est recueilli par des personnes, il a été victime d'un très grave accident de voiture. Il s'agit du narrateur. Il se retrouve piégé dans ce village que la neige recouvre peu à peu, d'une manière immuable. Il est loin des siens, coupé du reste du monde, une panne d'électricité semble avoir touché bien plus que les limites de ce village.
Le temps est là, qui avance très lentement, qui tente de cicatriser les blessures physiques et celles plus anciennes. Le temps cicatrise ce qu'il peut, avec ce dont il dispose, à portée du jour, loin de l'emprise des mains.
Parfois la neige cesse de tomber. Parfois elle recommence à venir. Nous voyons ainsi le paysage se modifier sous les yeux des personnages, une sorte d'angoisse, d'oppression et de blancheur immense s'animer pas à pas.
Ce sont deux hommes forcés de cohabiter dans un univers fermé, étroit, presque forcés de s'entraider, du moins l'un doit s'occuper de l'autre tout au début du roman... Ce sont deux hommes prisonniers l'un de l'autre.
C'est presque un huis clos entre un vieil homme qui s'appelle Matthias, qui est chargé de s'occuper du narrateur, bien plus jeune que lui, mais il est blessé aux jambes à la suite d'un accident de la route et ne parle pas à ses interlocuteurs.
C'est un des paradoxes de ce roman : un vieil homme qui a la force de prendre soin d'un homme plus jeune que lui, blessé.
On ne sait pas la raison de tout cela, ces femmes et ces hommes, par moments aux abois, qui semblent s'organiser comme ils peuvent, survivre presque.
Le narrateur contemple le paysage, tandis que Matthias s'affaire à aider, faire le ménage, cuisiner, laver le jeune homme, lui apporter les soins nécessaires. Au début ce n'est pas de gaité de cœur que Matthias fait tout cela, on l'a un peu contraint à le faire.
Le narrateur est emmuré dans un silence mutique et cela agace Matthias. On ne sait pas pourquoi il ne parle pas.
Et puis brusquement un jour il crie : « Au feu ! Au feu ! ». Matthias accoure et découvre alors que son hôte peut parler.
Il y a aussi Joseph, il y a José. Et puis il y a la belle Maria. Elle est vétérinaire. C'est elle qui a apporté les premiers soins au narrateur, faute de médecin présent. Ces personnages viennent et reviennent vers la maison, au rythme des jours qui s'écoulent dans cet hiver interminable qui recouvre peu à peu le village et ses maisons, viennent rendre visite à Matthias et son hôte.
Le silence du narrateur ressemble au silence du paysage. Parfois, nous avons l'impression qu'ils font corps, c'est une étrange harmonie.
Peut-être qu'il ne se passe rien dans ce roman... Ou bien, dit autrement, peut-être qu'il ne se passe rien aux yeux de ceux qui ne prennent pas le temps de capter la présence des personnages, leurs silences, leurs mouvements, leurs battements de cœurs, leurs regards par-dessus le paysage, tentant d'imaginer ce qu'il y a derrière, ce qu'il va advenir plus tard...
C'est un livre où il y a de l'attente, de l'angoisse aussi, peut-être du désir. Maria n'est jamais loin même lorsqu'elle n'est jamais là...
C'est une amitié un peu forcée au début. Mais elle existe, elle est là, elle se forge parmi la neige qui tombe et l'attente
Étrangement, ce paysage figé par la neige devient vivant, s'anime.
Par-delà ce huis clos, l'auteur nous invite à une réflexion : que devenons-nous lorsque nos repères de modernité, ici l'électricité, sont défaillants dans la durée ? Des voisins se parlent soudainement, les relations humaines en sont bousculées. Des choses belles, mais aussi des choses moins belles peuvent venir de tous les côtés, inattendues.
Parfois les silences ne sont pas pesants. D'ailleurs, les silences ne devraient jamais être pesants. Ce livre nous invite à questionner ces silences de nos vies qui parfois nous encombrent, nous pèsent et devraient plutôt ressembler à la neige dans ce qu'elle a de légère et de sublime.
Je vous livre ici une anecdote personnelle qui va vous faire sourire, du moins parmi les plus jeunes d'entre vous. En 1974, j'avais douze ans, lorsqu'un attentat en Bretagne, perpétré et revendiqué par une organisation indépendantiste bretonne, priva l'Ouest de la Bretagne de télévision pendant plusieurs semaines. Eh bien, chers amis, la vie ne s'arrêta pas là. Il y eut des jeux de société, des soirées de conte, des soirées entre voisins, il paraît même que le taux de natalité grimpa neuf mois plus tard... Je me souviens d'une période qui fut tout d'abord un choc effroyable (finis Zorro, Skippy le kangourou, Flipper le dauphin... !) et puis quelque chose de merveilleux vint à force d'apprivoisement de ce silence qui nous tombait dessus brutalement. Dans ma famille, nos soirées étaient devenues inventives, nous avions ressorti des placards les jeux de société et nous nous regardions enfin...
J'ai aimé ce livre, sa rudesse, sa tendresse et son chemin. Son humanité. Les personnages cheminent entre eux, s'opposent au départ, se rejoignent peu à peu...
J'ai aimé marcher dans la neige de ce roman, mais aussi attendre avec les personnages du récit, je me suis senti en totale empathie avec eux dans cette attente, j'étais parmi eux dans la neige, sous son poids et peut-être aussi dans sa légèreté. Ce qui m'a plu dans ce roman, c'est que dans cette neige qui s'accumule inexorablement, deux hommes diamétralement opposés ont pu se rapprocher peu à peu l'un de l'autre...
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Grand nord canadien, un village coupé du monde depuis LA panne d'électricité, et qui s'organise pour passer l'hiver.

Vient d'arriver un jeune accidenté aux jambes broyées, de retour au village après dix ans, confié aux soins du vieux Matthias, de passage.

C'est cette relation riche et difficile que l'on suit alors que des hommes partent au camp de chasse et que d'autre vont tenter de rejoindre la côte ou la ville abandonnant le village aux vieillards et aux plus faibles.
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L'époque veut, que dans un roman, il n'y ait pas de temps mort, que ça aille vite. Ici, rien de tout cela. Plus d'électricité, un huis clos, deux hommes dans un chalet isolé, le poêle, la neige, les blessures à soigner, et surtout la solitude, entrecoupée seulement par le ravitaillement des villageois. Une lecture agréable qui change des romans actuels. Même s'il ne s'y passe pas grand-chose, comme eux, on ne s'ennuie jamais. Un mélange du Mur invisible, de Dans la forêt et de l'écrivain Hubert Mingarelli. Merci à Masse Critique pour la découverte de cet auteur québécois qui possède une écriture comme la neige, elle nous tombe dessus tout doucement, imperceptible et lorsque, tout à coup, on regarde autour de soi, c'est la beauté, la luminosité, la pureté qui apparaît.
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J'ai emprunté avec Christian Guay-Poliquin un chemin à contre-courant: j'ai débuté ma lecture de cet auteur avec son dernier roman "Les ombres filantes, pour m'apercevoir qu'il faisait suite à "Le poids de la neige et "Au fil des kilomètres"... Qu'a cela ne tienne, quitte à commencer par la fin et avoir le tiercé dans le désordre, autant suivre l'ordre inverse !

Après un dernier opus où le protagoniste parcourait des kilomètres, je remonte l'histoire et retrouve ce dernier, immobilisé après un accident, amorce d'un huis-clos hivernal et très enneigé.

Ce protagoniste, jamais on n'en connaîtra le prénom, ce qui participe à l'étrangeté du récit. Car Christian Guay-Poliquin excelle à tisser une atmosphère délitée, nous immergeant dans un environnement où les codes habituels sont bouleversés, il nous déboussole en retirant habilement les repères. Il nous plonge dans un monde où, du fait d'une grande panne électrique anéantissant nos modes de vie (et de production), la vie se réorganise autrement: sans voiture, sans chauffage, sans nourriture atterrissant dans le Caddy, sans téléphone... Si l'on essayait de raisonner de façon rationnelle, la panne pourrait paraître anecdotique, ponctuelle, comme pouvant se résoudre, car une panne, cela se répare.

Or l'auteur prend le parti, comme un postulat de départ indiscutable, d'utiliser cet événement dont on sait peu de choses, comme un détonateur, un facteur de basculement d'une société organisée vers un monde chaotique. Car après tout, nos ancêtres n'ont pas toujours eu l'électricité, et les sociétés étaient pourtant structurées et fonctionnelles.
Et c'est donc toute la virtuosité de l'auteur que de nous prendre au dépourvu et nous faire accepter sans ciller cette étrange situation. Pour parachever cette déstabilisation, le narrateur nous plonge immédiatement dans la douleur, celle de ses blessures. Alors qu'il se rendait dans le village dont il est natif pour retrouver son père, il est victime d'un accident de voiture qui lui broie les jambes.

Le récit est donc, au tout début, celui d'un homme qui divague, dans la souffrance et les antalgiques, un récit comme un voile trouble devant les yeux du lecteur, où les repères se brouillent, dans un monde lui-même bouleversé et confus. L'auteur nous perd pour ensuite mieux nous emmener où il le souhaite.

Pour fixer ce désarroi, la neige commence à tomber dru et fige de son manteau glacé cette perdition.

Et pourtant de tout chaos naît un nouvel ordre. Pas tant celui recrée au village, par ceux qui ont choisi de rester, que cet ordre interne au narrateur, qui amarré à son lit et ses attelles, se tourne introspectivement vers ses ressentis et reconstitue un univers de ce petit microcosme qui l'entoure. On redécouvre les petites choses d'un quotidien au ralenti.

Le narrateur bénéficie d'un semblant d'ordre social et de solidarité, les villageois le confiant à un homme âgé, Matthias, qui n'est pas d'ici, garantissant contre les bons soins qu'il devra lui prodiguer, un ravitaillement pour ces deux êtres échoués dans une maison en périphérie du village.
C'est ainsi que débute ce huis-clos silencieux et déroutant, entre ces deux personnages contraints à la cohabitation.

Matthias, vieil homme taciturne, est un personnage paradoxal qui oscille entre sa volonté inextinguible de quitter cet endroit, pour retrouver son épouse malade dans une ville proche, et parallèlement, malgré tous ses préparatifs en vue de cette échappée, il veille jalousement sur son "patient", cet homme qui lui est un parfait inconnu, avec lequel il tisse une étrange relation, entre protection et mépris. Il ne pense qu'à partir, une fois les routes praticables, mais honore son engagement, tout en sapant régulièrement les espoirs de rétablissement de son protégé, lui assénant qu'il n'arrivera pas à s'en sortir seul. Un personnage tout en contraste : généreux dans sa parole donnée, engagé dans la guérison de cet étranger si dépendant qu'il couve presque de façon maternelle, et parfois menaçant et cruel.

Quant au narrateur, bien qu'il nous fasse partager ses ressentis, il distille un récit froid, froid comme cette neige qui maintient implacablement ses protagonistes sous sa coupe pesante: le lecteur est toujours gardé à distance, il assiste à ces journées étouffées, bâties de peu d'échanges, mais, malgré cette platitude, elles sont poétiquement amplifiées de sensations lumineuses ou obscures, de la chaleur du poêle ou du froid menaçant de l'extérieur, de la douleur insoutenable des blessures, de ce temps étiré, latent, de la convalescence, de la reconstruction, du goût des soupes et du pain noir, de la joie pantagruélique des jours de ravitaillement.

Cet auteur m'attrape encore dans ses filets: une fois de plus, il sait entretenir une attente teintée d'inquiétude, un suspens, une crainte comme une boule au ventre que la situation ne dégénère. Christian Guay-Poliquin nous place irrémédiablement "sur le fil". Il décrit, comme deux phénomènes liés, la hausse crescendo des chutes de neige et la tension qui augmente au village, où dissensions, maladies, et pénurie de nourriture créent là aussi un huis-clos, plus large, auquel assistent de loin Matthias et "son" malade. On ne peut qu'attendre, spectateurs impuissants parmi ces mornes journées, un paroxysme inéluctable.

Mais là où l'auteur est encore plus talentueux, c'est qu'il extirpe de ces journées monotones et languissantes une beauté emplie de poésie. de la grâce des flocons légers à la cruauté d'une gangue glacée, mais aussi de la nostalgie des temps révolus à la sensation de chaleur et de réconfort auprès du poêle, la poésie empreint tout le roman en filigrane. Elle fait son nid dans la lenteur des gestes, dans la sensation sourde d'en avoir réchappé et de savourer heureusement vivant la chaleur qui regagne un corps engourdi, de se délecter d'un café pourtant si délayé, de la joie contenue d'être en vie.

Si je laisse le protagoniste tracer sa route vers "Les ombres filantes", je quitte les moufles et m'en retourne vers l'origine, "Au fil des kilomètres"...
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Il m'attendait , je l'attendais. Nos chemins se sont croisés , un poids en moins!
Christian Guay- Poliquin je n'ai pas eu le plaisir de vous rencontrer lors de votre passage aux éditions de l'Observatoire j'en ai regret. Votre parole aurait surement éclairé ma lecture.
Je est alité et se remet difficilement d'un très grave accident de voiture, ses jambes fracassées ont été "réparées" par Maria. C'est Matthias qui s'occupe de lui, le village lui a promis aide et assistance et surtout une place dans le premier convoi qui partirait à la ville car voyez-vous le village est isolé, pris dans les neiges. L'hiver s'est installé, la tempête aussi et l'électricité est en panne.
S'installe entre les deux hommes une étrange relation, Martial à l'âge d'être le père de Je mais il ne l'est pas loin de là. Peu à peu les visites s'espacent et bientôt il n'y a plus que ces deux hommes livrés à eux-mêmes obligés de "faire avec" Et surtout il nous reste la splendide écriture de Christian Guay-Poliquin et c'est magique, poétique, apaisant, angoissant, bienveillant, cruel.
Un beau moment de lecture.
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