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Critique de Zebra


Katharina Hagena est née à Karlsruhe, en Allemagne, en 1967. Avec « der Geschmack von Apfelkernen » (en français, « le goût des pépins de pomme »), ouvrage paru en 2008 aux éditions Verlag Kiepenheuer & Witch, elle signe un roman gai, énigmatique, sensible, tendre, émouvant, sensuel, parfois drôle, nostalgique et un peu douloureux qui se prête à de multiples lectures. Qualifié de « pur chef-d'oeuvre » par Jean-Louis Ezine, du Nouvel Observateur, le livre a suscité à ce jour 137 critiques sur Babelio !

« le goût des pépins de pomme » est d'abord une saga familiale. A la mort de Bertha, ses 3 filles et sa petite-fille, Iris, la narratrice, se retrouvent dans la maison familiale, à Bootshaven, petite ville située entre Hambourg et Berlin. On lit le testament rédigé par la défunte : Iris, à sa grande surprise, hérite de la maison familiale. Au début, étant bibliothécaire à Fribourg, ville située dans le Bade-Wurtemberg (à l'extrême sud-ouest de l'Allemagne), Iris n'envisage pas de garder la maison. Elle prend toutefois son temps pour en explorer chaque recoin. Iris (page 35) se sent comme à un inventaire et (page 37) se demande s'il faut s'acharner à tout sauvegarder. La fin est cousue de fil blanc.

« le goût des pépins de pomme » est ensuite une malle aux secrets. Ce sont 3 générations qui se rencontrent à l'occasion de l'ouverture de la succession. le lecteur parcoure toutes les pièces de la maison, remonte dans le temps et partage avec Iris les souvenirs, les odeurs, les sons et les goûts qui lui remontent à la mémoire. Dans ces « remontées », il y a des choses anodines (page 29 – le pavillon galvanisé était plus bas que dans mon souvenir ; page 30 – la 3ème marche à partir du bas grinçait encore plus fort qu'à l'époque), un peu de mélancolie (page 39 – du jardin d'hiver, il ne restait rien ; page 42 – au fil des ans, la végétation avait envahi les berges) et des souvenirs plutôt gênants : deuils, jalousies, cachotteries, passé très probablement nazi du grand-père, Bertha adultère, décès inexplicable de Rosemarie (fillette très liée à Inga, une des filles de la défunte). Une vraie tragédie familiale, toute en puzzle avec ses pièces et ses « trous ».

« le goût des pépins de pomme » est également un essai sur la mémoire, l'oubli et la vérité. La vieille Bertha est morte amnésique. Mais il n'y a pas d'âge pour commencer à oublier. Parmi les souvenirs, dont la date et le contenu s'effacent ou se modifient, Iris « pêche », compose et recompose son identité, taisant – dans un non-dit qui finit par être très présent - ou transformant les « remontées » les plus « acides ». « Dans la mémoire, il y a un faux sentiment de refuge ». Les souvenirs (page 102) sont des îles qui flottent dans l'océan de l'oubli, mais la vérité n'est pas au rendez-vous. Iris se remémore (page 66) des choses que Bertha avait racontées, des choses qu'elle avait cru deviner ou qu'elle s'était figurées ; elle en vient à se demander (page 203) si ces histoires n'étaient pas plus vraies que ses rêveries éveillées dans la mesure où (page 203), nombre d'histoires inventent la réalité. Comment démêler alors le faux du vrai quand Iris se forge une histoire personnelle arrangée et stabilisatrice ?

« le goût des pépins de pomme » est enfin un roman du terroir : une vieille demeure, un verger et des plates-bandes nimbés de soleil estival, des pommes qu'on croque ou dont on fait des confitures, du jus ou de la gelée, des vêtements qu'on extirpe de vieilles malles gisant dans la poussière d'un grenier et qu'on enfile en se regardant dans un miroir un peu piqué, le bruissement des feuilles du saule, la rivière où il fait bon se baigner en pleine canicule, une discrétion toute campagnarde qui conduit chacun à respecter la vie de ses voisins tout en guettant le moindre détail de leurs vies quotidiennes …

Katharina Hagena est habile et intelligente. Dans ce récit, et dans un style très allemand, elle crée une ambiance singulière, bien ficelée, touchante, toute en finesse et attachante. Les descriptions sont détaillées, la plume est délicate. Mais l'auteure fait également sa thérapie : « il y a un sentiment de perte contre lequel j'essaye de lutter en écrivant ; (avec ce livre) j'ai réussi à dépersonnaliser ma mémoire et à faire en sorte que ce roman ait son existence propre, indépendante ». Évidemment, pour notre plus grand plaisir.
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