AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"Let me bring you songs from the wood
To make you feel much better than you could know..."
(Jethro Tull, "Songs from the Wood")

Thomas Hardy m'a toujours fait penser un peu obscurément à Jane Austen, avec la typologie de ses personnages et ses trames tissées de façon aléatoire, qui propulsent ses héros (souvent malgré eux) de la situation A à la situation B. Mais à une Jane Austen plus sombre et pessimiste, dont la proverbiale ironie ne fait pas rire à chaque fois, voire pas du tout.
"Les Forestiers" n'est pas le roman le plus connu de Hardy, et très probablement pas son meilleur non plus... mais c'est sans doute mon préféré.

C'est un livre de grands contrastes - le plus grand étant celui entre la belle littérature et la triste réalité. Et Hardy sait travailler les deux avec un raffinement que défie toute concurrence. Son récit tient ensemble grâce à un ingénieux mécanisme de petits et grands événements et d'imprévisibles ironies de la vie. Rien n'est écrit sans raison : le moindre mot, la moindre description de feuille d'un arbre sont importants, car vous pouvez parier que plus tard ils auront encore leur place dans l'histoire.
Les destins de ses personnages se croisent et s'influencent sans cesse, chaque action est une roue dentée qui met en mouvement une autre, et tout se dirige lentement vers d'inévitables et terribles affrontements. Mais malgré cette construction majestueuse, les personnages des "Forestiers" ne manquent pas d'authenticité : déceptions, trahisons, grands amours, jalousies, haines meurtrières et surtout terribles erreurs banales qu'on a tous connu et regretté au moins une fois dans notre vie.

L'histoire elle-même pourrait paraître presque ennuyeuse, car qui s'intéresse encore aujourd'hui aux conventions sociales du 19ème siècle ? Aux descriptions de paysages, forêts, vergers, maisons couvertes de vigne vierge ? Beaucoup de travail, peu d'amusement... et aucun érotisme !
Mais peu importe, car Hardy compose son portrait des habitants d'un petit village perdu dans les bois avec une étonnante intemporalité. On peut voir "Les Forestiers" comme un roman social typiquement victorien sur les ambitions de ceux qui veulent s'élever au-dessus de leur condition, mais c'est surtout une histoire sur les petites tendances calculatrices propres à n'importe qui à n'importe quelle époque... alors qui oserait s'en moquer ou les condamner complètement sans rougir ? Qui n'a jamais fait des efforts pour n'obtenir que le meilleur ? Hardy écrit sur les girouettes que le moindre souffle de vent fera tourner dans une direction opposée... et sur les rocs qui restent vaillamment en place même lors d'un tremblement de terre.
Les uns - M. Melbury, sa fille Grace ou le docteur Fitzpiers changent d'opinion et de direction prévue plus vite qu'il ne faut pour le dire, sans se soucier des conséquences que cela provoquera dans leur entourage. Et les autres, le loyal Giles ou la humble Marty, vont vous surprendre par leur solidité à toute épreuve. La question reste si cela leur apportera le bonheur qu'ils méritent.

Un étonnant contrepoint est aussi créé d'une part par les plaines fertiles qui sentent le miel et le cidre fermenté, et de l'autre par les charmantes forêts échevelées du Wessex, froides, menaçantes et pourtant belles. Je crois que je ne connais pas dans la littérature anglaise un meilleur peintre-paysagiste que Hardy.
Et plus ses anciennes collines verdoyantes frémiront au crépuscule, et plus cruels seront les déceptions et les compromis devant lesquels la vie mettra les "forestiers". Leur chassé-croisé amoureux est presque frustrant... un mot, un geste, une simple explication pourraient tout changer ; vous devenez pleins d'espoir, puis non... vous entendez juste une fois de plus Hardy ricaner méchamment derrière votre dos.
Essayez, vous verrez peut-être même sa moustache tressauter... ! 5/5
Commenter  J’apprécie          8427



Ont apprécié cette critique (77)voir plus




{* *}