- C'est quoi la rivière du coin ?
- Ouais. Elle ramasse tous les nutriments des eaux de pluie, donc c'est bon pour la terre quand il y a des crues. Elle a débordé l'an dernier, et deux avant aussi."
Ludlow leva les yeux vers le soleil, et grimaça.
"Il faut beaucoup de pluie pour ça ?
- Ici, on a des inondations sans qu'il pleuve", répondit Xander depuis la banquette arrière.
Ludlow se retourna?
"Ah bon ?"
Nathan hocha la tête. C'était toujours un étrange spectacle, même au bout de quarante deux ans, de voir la rivière monter furtivement, en silence, sous un ciel sans nuages. Elle s'échappait de son lit, gonflée par des pluies tombées des jours plus tôt dans le Nord, à mille kilomètres de là. Nathan pointa du doigt le paysage.
"Quand elle déborde, presque tout ça se retrouve sous l'eau. Par endroits, elle atteint dix kilomètres de large. Faut un bateau pour se déplacer. Les maisons et la ville sont construites en hauteur, mais la piste, elle, disparaît."
Ludlow avait l'air sidéré. "Mais comment on fait alors, pour sortir de là ?"
Nathan entendit rire Xander. "On sort pas. Pas mal de fermes se transforment en îles. Une fois, je me suis retrouvé bloqué chez moi pendant cinq semaines.
- Tout seul ?
- Ouais, confirma Nathan. Mais bon, c'est pas si grave. Faut être préparé, c'est tout. On n'a pas le choix, c'est la géographie qui veut ça."
Avoir l'air bien et être bien, ce n'est pas la même chose.
Je vis tout seul.
Ludlow se tourna pour le dévisager. " Rien que vous ?
- Ouais. Un one-man-show. (..)
Le sergent ne chercha pas à dissimuler sa stupéfaction. " Et votre ferme fait sept cents kilomètres carrés, c'est ça ? Et vous élevez combien de vaches ?
- Je dirais cinq ou six cents.
- Bon Dieu, ça fait quand même pas mal. "
Nathan n'était pas inquiet ; au jeu du silence, il était meilleur que tous les gens qu'il connaissait. Il pouvait littéralement rester des semaines sans parler, et l'avait d'ailleurs fait , à plusieurs reprises. Xander, qui avait grandi dans l'agitation et le bruit constant de la ville, craquerait le premier.
" C' était qu'un chien.
- Je l'aimais. c'était ma meilleure amie.
- Alors tu devrais sortir un peu plus."
Nathan passait régulièrement commande au supermarché de la ville la plus proche, et toutes les six semaines , un énorme camion réfrigéré transportant toutes les commandes de la région parcourait les mille kilomètres plein nord depuis Adélaïde. Si on ne planifiait pas longtemps à l'avance ici, il fallait s'attendre à en payer les conséquences. Nathan savait ce qu'il allait manger à chaque repas au cours des six prochains mois.
Les contours émoussés de ces souvenirs étaient soudain redevenus tranchants comme des lames de rasoir et menaçaient de lui échapper et de le couper s’il ne les manipulait pas avec prudence.
Cela faisait plus de vingt ans qu’il n𠆚vait pas entendu ce nom. (...) Et alors non seulement le nom de cette femme lui rappela quelque chose, mais il déclencha une alarme sous son crâne.
Chacun peut décider s'il est dans son intérêt d'accepter quelque chose. Mais un choix n'en est vraiment un que s'il existe une alternative. Sinon, c'est de la manipulation. Ça s'appelle abuser de quelqu'un. "
Il haussa les épaules.
"Ça s'appelle un viol."
La vie est dure, par ici. On essaie tous de s'en sortir du mieux qu'on peut. Mais tu peux me croire, il n'y a pas une personne ici qui ne se mente pas sur telle ou telle chose.