AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de HundredDreams


Depuis quelques temps maintenant, j'essaie régulièrement de donner la chance à un roman qui languit depuis de nombreuses années dans ma bibliothèque. C'est ainsi que j'ai lu « Les vestiges du jour », « Anna Karenine » ou « Martin Eden ».
Cette fois-ci, je me suis laissée tenter par le roman post-apocalyptique de l'autrichienne Marlen Haushofer, « le Mur invisible ».

Avec le recul, je me demande encore comment j'ai pu laisser de côté pendant si longtemps de tels romans, ils sont aussi beaux les uns que les autres dans des styles très différents.

*
La narratrice a été invitée par un couple d'amis à se reposer pendant quelques jours dans leur pavillon de chasse perdu dans les Alpes autrichiennes.
Le soir même, le couple descend au village, la laissant seule se reposer avec pour seule compagnie, Lynx, le chien du couple. le lendemain, à son réveil, elle constate que ses amis ne sont pas revenus. Inquiète, elle décide de partir à leur rencontre et découvre qu'un mur transparent, infranchissable, s'est refermé sur le chalet et ses environs pendant la nuit, l'isolant totalement du reste du monde.

Ce mur est un mystère et questionne forcément : comment est-il apparu ? Qui l'a construit ? Dans quel but ? Que s'est-il passé de l'autre côté du mur pendant son sommeil ? Pourquoi est-elle la seule rescapée ?
Toutes ces questions resteront sans réponses.

« Les choses arrivent tout simplement et, comme des millions d'hommes avant moi, je cherche à leur trouver un sens parce que mon orgueil ne veut pas admettre que le sens d'un événement est tout entier dans cet événement. »

Si cette femme est dorénavant seule, piégée derrière cette gangue translucide, le mur l'a également protégée et sauvée de la mort car au-delà du mur, tous êtres vivants sont figés dans la mort, comme des statues de pierre.

« Si c'était ça la mort, elle avait été très rapide et douce, presque tendre. »

Alors une nouvelle question nous effleure : pourquoi continuer à vivre quand le monde auquel on tenait a disparu, quand les êtres que l'on aimait ne se sont plus là et que l'on est désormais seul ?

*
Publié en 1963, ce roman est plutôt étonnant : en effet, s'il est classé dans le genre science-fiction, je le trouve plus proche du journal intime ou du récit de survie.
En effet, la narratrice consigne la routine de son quotidien, sa solitude, ses difficultés à s'adapter, à apprendre les gestes qui sauvent. A ce récit, s'immiscent des réflexions sur la vie et la survie, la peur et le courage, la solitude et le temps qui passe, la souffrance et le dépassement de soi, le deuil et les souvenirs, l'enfermement et la liberté. Malgré la violence de certains passages dont elle ne pose que quelques mots tristes et douloureux, ses paroles sont réfléchies, sages et introspectives.

« Aimer et prendre soin d'un être est une tâche très pénible et beaucoup plus difficile que tuer ou détruire. Élever un enfant représente vingt ans de travail, le tuer ne prend que dix secondes. »

*
L'autrice nous offre le portrait inoubliable d'une femme dont le lecteur ne connaîtra jamais le nom. Sensible, fragile, forte, elle n'a d'autre choix que de s'adapter à de conditions de vie éprouvantes, de faire preuve d'ingéniosité et d'habileté pour affronter seule tous ses obstacles, toutes les dures épreuves qui se présentent. Et même si des angoisses s'insèrent souvent dans ses pensées, elle trouve toutefois la force et le courage de se dépasser, d'avancer.

L'autrice fait preuve d'une puissance évocatrice rare pour parler des animaux. J'ai adoré la relation que la narratrice nouera chacun d'entre eux. Que se soit pour évoquer la petite mésange retrouvée morte, la corneille blanche rejetée par les siens, la chatte craintive et indépendante, la jolie Perle avec sa fourrure angora d'un blanc immaculé, la vache et son petit.
Mais parmi eux, Lynx garde une place particulière.
Lynx, ce merveilleux compagnon, à la fois fidèle, affectueux, protecteur et réconfortant.

« Lynx était joyeux et plein d'exubérance, mais un étranger n'y aurait pas vu un grand changement. Il était en effet toujours en train et je ne l'ai jamais vu d'humeur maussade plus de trois minutes. Il lui était tout simplement impossible de résister à l'invitation d'être gai. Et la vie dans la forêt offrait des tentations constantes. le soleil, la neige, le vent, la pluie, tout lui était une occasion de s'enthousiasmer. Je n'ai jamais pu rester triste bien longtemps à ses côtés. »

A cette présence rassurante viendront s'ajouter par la suite d'autres animaux, piégés eux aussi à l'intérieur de l'enceinte du mur.

« Depuis sa mort je rêve souvent d'animaux. Ils me parlent comme des humains et dans mes rêves cela me semble tout naturel. Les gens qui peuplaient mes nuits pendant le premier hiver ont complètement disparu. Je ne les vois plus jamais. Ils ne se montraient pas particulièrement aimables dans ces rêves, alors que les animaux y sont amicaux et plein d'entrain. Mais à la réflexion il n'y a là rien d'étonnant, cela montre tout au plus ce que j'ai toujours attendu des hommes et ce que j'ai toujours attendu des animaux. »

De cette expérience éprouvante, l'héroïne va s'interroger sur la nature humaine, le monde moderne et notre dépendance aux autres et aux objets du quotidien, notre environnement, notre rapport aux animaux et notre responsabilité envers les êtres qui dépendent de nous.
C'est un monde sans espoir, sans avenir, et pourtant, il y flotte un parfum de liberté, de bonheur, de tendresse, d'amour, loin de la violence des hommes. Car, si beaucoup d'entre nous n'auraient pas manqué de se sentir emprisonnés, apeurés, oppressés par la solitude, la narratrice retrouve petit à petit l'apaisement dans le silence de la forêt, dans le calme de la nuit, dans la compagnie des animaux. Comme elle, j'ai aimé ressentir cette quiétude, cet accord parfait avec la nature.

« La forêt n'est jamais entièrement silencieuse. On la croit silencieuse, alors qu'elle recèle des bruits innombrables. Un pivert frappe ses coups au loin, un oiseau crie, une branche frappe contre un tronc et quelque petit animal fait craquer le rameau sous lequel il passe. Tout vit et travaille. Mais ce soir-là il régnait un silence presque total. »

*
Si « le mur invisible » est avant tout un roman sur la survie et la résilience, Marlen Haushofer dépeint à merveille les paysages et la nature, les alpages et les grands espaces où les vastes forêts et les montagnes sont davantage qu'un décor. Par ses valeurs humanistes, son empathie, son respect pour la vie sous toutes ses formes, la narratrice éveille nos consciences, nous montrant l'importance de nous soucier de notre environnement.

Le roman est écrit très simplement, mais il y a de la beauté dans chaque page du livre et dans chaque scène. J'ai particulièrement apprécié écouter le sifflement du vent dans les gorges, respirer l'air pur empli du parfum des fleurs sauvages, profiter du soleil en contemplant les animaux, me promener avec Lynx, admirer le ciel piqueté d'étoiles.

*
Quant à l'écriture, je vous en ai déjà glissé quelques mots, elle est non seulement délicate, poétique, mais également subtile. le ton est juste, sans affectation, sans monotonie ni platitude.
Les sentiments profonds s'y dessinent dans un rythme lent, désabusé et mélancolique qui convient aux pensées de la femme, à sa vie tournée vers le labeur, la méditation et la contemplation. Les sentiments de chagrin, de désespoir et de peur côtoient des émotions plus douces, plus légères, plus sereines.

« Les orties continueront à pousser, même si je les arrache cent fois, et elles me survivront. Elles ont tellement plus de temps que moi. Un jour, je ne serai plus là et plus personne ne fauchera le pré, alors le sous-bois gagnera du terrain puis la forêt s'avancera jusqu'au mur en reconquérant le sol que l'homme lui avait volé. Quand mes pensées s'embrouillent, c'est comme si la forêt avait commencé à allonger en moi ses racines pour penser avec mon cerveau ses vieilles et éternelles pensées. Et la forêt ne veut pas que les hommes reviennent. »

*
A la fois simple, émouvant, ce roman magnifique m'a profondément touchée. Il est à la fois tendre et brutal, calme et violent, silencieux et fracassant. En lisant ce journal, nous pénétrons dans les pensées les plus intimes et profondes de la narratrice et nous découvrons une très belle personne.
Ode à la nature, à un retour à un mode de vie plus simple et respectueux.

Un gros coup de coeur, un roman que je vous engage à découvrir si vous aimez les romans d'atmosphère.

« … la chatte s'est rapprochée de moi, elle a peut-être compris que nous dépendons l'une de l'autre, en fait elle était jalouse du chien sans vouloir le montrer. En vérité, je dépends plus d'elle qu'elle de moi. Il suffit que je lui parle, que je la caresse, pour que sa chaleur passe doucement de son corps à mes paumes et me console. Je ne pense pas que la chatte ait besoin de moi comme j'ai besoin d'elle. »

***
Je remercie pour finir tous mes amis de Babelio pour ce cheminement dans ce magnifique roman. Nos différents regards sont une richesse pour lire des oeuvres sujettes à de multiples interprétations.
***
Commenter  J’apprécie          6753



Ont apprécié cette critique (64)voir plus




{* *}