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sur 1374 notes
Coup de coeur absolu !

Comment parler d'un livre qui m'a émue, bouleversée, chamboulée au-delà des mots ?
Il est six heures du matin, le jour commence à se lever, mon chat dort sur le canapé à côté de moi, l'homme que j'aime en fait autant dans la pièce voisine. Je referme un livre exceptionnel ! Rien que de très ordinaire me direz-vous.
Je n'en suis pas si sûre car il y a des lectures tellement sublimes où chaque mot est à sa place, chaque geste, chaque sentiment sublimés par une écriture radieuse que l'on ne peut s'en extraire après la dernière page.
Je vais essayer de vous en parler le plus simplement possible.

Une femme dont on ne saura jamais le nom se retrouve prisonnière derrière un mur invisible à travers lequel elle aperçoit la maison voisine où un homme penché au-dessus d'une fontaine est probablement en train de boire et une femme assise sur un banc.
Elle ne met pas longtemps à comprendre l'impensable, il n'y a plus de vie autour d'elle, ces voisins sont figés dans la mort, pétrifiés en pleine action comme les habitants de Pompéi. de ce que l'on suppose être une catastrophe nucléaire, on ne saura rien.
Alors, de quoi parle ce livre ? de la survie, du partage avec un chat, un chien, une vache, ses seuls compagnons rescapés.
Il faut apprendre à vivre avec ce qu'il y a, quelques provisions rapidement épuisées, faire face aux mille tracas quotidiens.
Il faut apprendre à apprivoiser la solitude, la peur, la souffrance.
Au fil des jours dont elle tient soigneusement le décompte sur un agenda on la suit dans ses journées, dans les soins qu'elle donne à ses animaux, dans ses balades avec Lynx, le chien fidèle qui sans cesse lui redonne espoir par un coup de langue ou un regard plein d'amour qui semble dire : Ne t'en fais pas, je suis là !

"Comme c'était beau ces jours-là d'aller dans les bois avec Lynx. Les petits flocons se posaient sur mon visage, la neige crissait sous mes pas, j'entendais à peine Lynx derrière moi. Je contemplais nos traces dans la neige, mes lourds talons et les fines empreintes du chien. L'homme et le chien réduits à leur plus simple expression."


La nature est omniprésente dans ce récit, les saisons se suivent immuablement et les pages du livre se tournent, vite, trop vite.

Il ne se passe pas grand-chose finalement, pas beaucoup d'action, mais tellement plus. C'est triste, c'est plein d'espoir, c'est sublime.
Voilà j'ai essayé de vous parler d'un livre magistral, un coup de poing littéraire que je ne suis pas prête d'oublier.


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Énorme coup de coeur pour ce livre post-apocalyptique d'une auteure autrichienne qui m'était inconnue, Marlen Haushofer.

Que le terme de post-apocalyptique ne fasse pas peur aux lectrices et lecteurs non féru.e.s de science-fiction : cela n'est qu'un prétexte pour ce très grand livre, un prétexte pour distiller de façon originale son essence principale, à savoir celle de la condition humaine dans son rapport à la nature et aux animaux.
Il n'est point question d'explications scientifiques, de causes écologiques ou extra-terrestres : nous ne savons pas ce qui s'est passé et finalement peu importe. Tout est centré sur les réactions d'une femme dont on ignorera le nom jusqu'à la fin dans un contexte extra-ordinaire qui la plonge dans une lutte pour sa survie en pleine montagne bavaroise.

D'ailleurs que s'est-il passé ? Brutalement isolée du reste du monde par un mur invisible, une frontière immatérielle en réalité très symbolique, une femme se retrouve isolée dans un chalet en pleine montagne, soudain confrontée à elle-même et à une nature peu amicale, avec un enjeu immédiat, celui de la survie. En une nuit, sa vie passée et tout ce à quoi elle tenait lui ont été été volés de façon mystérieuse. Elle comprend peu à peu qu'elle est seule, seule survivante d'un phénomène qui la dépasse, toute vie ayant été pétrifiée au-delà de ce mur. Nous lisons son journal de bord, l'écriture, avec peu à peu la contemplation de la nature, étant la seule activité lui permettant de s'occuper l'esprit, sinon rien, pas de livres, pas de conversations, pas de musique, rien.

Il ne se passe rien dans ce livre sinon. Oui rien. Et tout. La peur, la solitude, le dur labeur pour sa survie, et ses relations complices et profondes avec les animaux, notamment son chien Lynx, ses chats, sa vache, en sont les seuls ingrédients. Et quelle incroyable richesse, que de réflexions profondes, essentielles, derrière cette absence d'aventures ! le livre m'a happée au fur et à mesure que cette femme devenait plus rien…du moins un être aspiré peu à peu par quelque chose de plus grand qu'elle. Elle s'efface, s'oublie, se fond, comme si la forêt avait commencé à allonger en elle ses racines et c'est aussi ce que nous ressentons confusément en avançant dans le livre :

« Dans le silence bruissant de la prairie, sous le ciel immense, il m'était presque impossible de rester un moi unique et séparé, une aveugle petite vie entêtée qui refusait de se fondre dans la grande communauté. Autrefois j'avais tiré toute ma fierté d'être une telle vie, mais sur l'alpage cette vie m'apparaissait misérable et ridicule, un néant bouffi d'orgueil ».

Le rapport au temps est autre, un temps pas cadencé par des milliers de montres, l'apparence physique secondaire, les repas se font au rythme de ce qu'offre la nature, les conditions pour obtenir sa pitance fastidieuses, les relations aux animaux sont plus profondes et instinctives. le mur aura réussi à tuer l'ennui, la vacuité, et à faire du moment présent le seul temps à conjuguer. Malgré ça : « Ce n'est pas que je redoute de devenir un animal, cela ne serait pas si terrible, ce qui est terrible c'est qu'un homme ne peut jamais devenir un animal, il passe à côté de l'animalité pour sombrer dans l'abîme ».

Et peu à peu cependant, à mesure que la terreur de la fin se profile, la beauté pure émerge, la splendeur de la vie à l'état brut, sans souvenir ni conscience, sans désir, comme ce que vivent sans doute les animaux…un monde de terreur et de ravissement.

« Comme il faisait clair plus longtemps que dans la vallée, je passais les belles soirées assise sur un banc, enveloppée dans mon vieux loden, à contempler le ciel qui se teintait de rouge à l'ouest. Plus tard je voyais la lune s'élever et les étoiles s'allumer dans le ciel. Lynx était couché à côté de moi sur le banc. Tigre poursuivait les papillons de nuit, petite ombre grise qui bondissait de touffe en touffe ; puis, fatigué, il s'enroulait sur mes genoux et se mettait à ronronner à l'abri de mon manteau. Je ne pensais à rien, je n'avais plus ni souvenir ni peur ».

« le mur invisible » distille en nous comme un doux poison qui nous permet, avec cette femme, de nous libérer de nous-même. de franchir un certain mur intime, une barrière sociale. Ce livre est un chef d'oeuvre qui n'a pas été sans me rappeler « La constellation du chien » de Peter Heller, avec là encore la présence salvatrice d'un chien, sauf que dans ce livre, il restait quand même quelques humains avec lesquels communiquer. C'est ce rien, cette solitude extrême et irrémédiable, cette robinsonnade sans retour, qui rend ce livre unique, expérience de lecture qui touche en nous lecteurs à la fois ce qu'il y a de plus vivant et de plus terrifiant, un peu à l'image de ces cyclamens :

« À la montagne, quand ils sont déjà en fleur en juillet, on dit que l'hiver sera précoce. Dans le cyclamen, le rouge de l'été et le bleu de l'automne se fondent en mauve et leur parfum semble retenir une dernière fois la douceur passée ; mais si on le respire trop longuement, on y sent une tout autre odeur, celle de la décomposition et de la mort. J'ai toujours cru que le cyclamen était une fleur très singulière et un peu effrayante ».

Le mauve, la couleur de l'apaisement et de la spiritualité. Ce livre, mauve, est en effet très singulier et un peu effrayant…Il m'a fait écho de façon troublante. Je ne suis pas prête de l'oublier tant les questionnements et problématiques soulevés sont multiples et intimes.
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Alors qu'elle séjourne dans un chalet isolé en forêt alpine, la narratrice se retrouve coupée du monde par la brusque apparition d'un mur de verre, au-delà duquel toute vie semble avoir disparu. Tout en explorant la vaste zone giboyeuse de son côté du mur, elle tâche d'organiser sa survie, avec pour seule compagnie quelques animaux domestiques.


Le récit n'apportera jamais d'explication sur ce mur et cette apocalypse soudaine : ils ne sont que les prétextes quasi symboliques d'une robinsonnade et d'une réflexion sur la condition humaine. Brutalement ramenée à ses besoins les plus fondamentaux, contrainte à un rude investissement physique pour assurer une survie assujettie à la nature, au rythme des saisons et à l'exploitation durable et raisonnée de ses ressources environnementales, cette femme va vite découvrir un nouvel ordre du monde, à des lieux de ses anciennes préoccupations désormais bien dérisoires, et où elle va expérimenter une forme de bonheur et d'harmonie inédits pour elle.


S'insurgeant contre l'orgueil de l'homme si sûr de sa prééminence sur terre et de son importance individuelle, Marlen Haushofer évoque notre vulnérabilité et notre finitude, questionnant nos choix et le véritable sens de la vie. Loin des artifices et de la fuite en avant de la société actuelle, débarrassée des perpétuelles insatisfactions égoïstes de ses semblables, notre survivante apprend à vivre pleinement le moment présent, à trouver la paix de l'esprit dans l'amour des créatures qui l'entourent et dans l'humble conscience de faire partie d'un tout.


Intriguée par le début étrange de cette histoire, parfois étreinte d'un sentiment de longueur mais portée par l'écriture fluide et agréable, je referme ce livre troublée par cette désillusion si désespérée qu'elle aboutit à la préférence de la solitude et de l'amour des bêtes, au pénible commerce des hommes. Tout l'esprit du livre me semble contenu dans cette citation :


"Les choses arrivent tout simplement et, comme des millions d'hommes avant moi, je cherche à leur trouver un sens parce que mon orgueil ne veut pas admettre que le sens d'un événement est tout entier dans cet événement. Aucun coléoptère que j'écrase sans y prendre garde ne verra dans cet événement fâcheux pour lui une secrète relation de portée universelle. Il était simplement sous mon pied au moment où je l'ai écrasé : un bien-être dans la lumière, une courte douleur aiguë et puis plus rien. Les humains sont les seuls à être condamnés à courir après un sens qui ne peut exister. Je ne sais pas si j'arriverai un jour à prendre mon parti de cette révélation. Il est difficile de se défaire de cette folie des grandeurs ancrée en nous depuis si longtemps. Je plains les animaux et les hommes parce qu'ils sont jetés dans la vie sans l'avoir voulu. Mais ce sont les hommes qui sont sans doute le plus à plaindre, parce qu'ils possèdent juste assez de raison pour lutter contre le cours naturel des choses. Cela les a rendus méchants, désespérés et bien peu dignes d'être aimés. Et pourtant il leur aurait été possible de vivre autrement. Il n'existe pas de sentiment plus raisonnable que l'amour, qui rend la vie plus supportable à celui qui aime et à celui qui est aimé. Mais il aurait fallu reconnaître que c'était notre seule possibilité, l'unique espoir d'une vie meilleure. Pour l'immense foule des morts, la seule possibilité de l'homme est perdue à jamais. Ma pensée revient sans cesse là-dessus. Je ne peux pas comprendre pourquoi nous avons fait fausse route. Je sais seulement qu'il est trop tard."

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Brutalement isolée du reste du monde par une frontière immatérielle, une femme se retrouve soudain confrontée à elle même et à une nature peu amicale, avec un enjeu immédiat, la survie.
Que l'on ne s'y méprenne pas, si le récit s'apparente indéniablement au genre science-fiction post-apocalyptique, il ne doit pas décourager les lecteurs peu friands de cette littérature. On ne sait pas ce qui s'est passé et on s'en fiche. le propos tient plus d'une robinsonade, terrestre et montagnarde, que d'une chronique de fin du monde.

La narratrice, seule dans son chalet de montagne, prend vite conscience d'une nécessité, manger pour vivre. Et l'énergie déployée, lorsque l'on a une idée vague et livresque des joies du travail paysan, procure une épuisement rapide qui met à distance les questions existentielles. Qui ne tarderont cependant pas à s'imposer.
Les alliances nécessaires se nouent : un chien, un chat, une vache que leur statut d'animal de compagnie ou de labeur a rendu dépendants et incapables de se débrouiller dans la nature. Leur rôle est fondamental et complexe : ils sont une garantie de ne pas perdre la faculté de parler, même si c'est à sens unique, ils contribuent à rendre le quotidien plus facile bien que leur existence soit une responsabilité, lourde à porter mais garante d'une volonté de rester en vie.
Cette profonde solitude crée de longs débats internes, qui éludent rapidement la question de ce qui a pu provoquer une telle situation. Ce sont les constats de la vacuité et de la vanité de ce qui faisait la vie d'avant, les enfants le travail, la famille et la gestion du temps, dans l'ignorance totale de ce qui fait l'essence de la vie.
L'ex femme lancée malgré elle dans la trépidation d'une vie urbaine souffre aussi dans son corps, les travaux des champs sont exigeants, la nourriture est peu variée et peu abondante, une simple rage de dents devient un enfer, les,muscles et les articulations sont mis à mal.
Elle abandonne sans regret tous les rituels qui concernent son apparence : les animaux ne le lui reprocheront pas.

Peu à peu, émergent des représentations d'une autre dimension, plus profondes, plus intimes, curieusement surgies d'un nouvel exil vers un alpage pour l'été.

C'est un récit bouleversant, dont les effets se font sentir au cours des nuits qui suivent la lecture, par des rêves suffisamment intenses pour que l'on s'en souvienne au réveil. Bien au delà de l'histoire, les interrogations fondamentales se profilent.

Le récit est habilement construit pour ne pas devenir monotone. Un tout petit bémol : certains tournures de phrases sont un peu étranges : effet de la traduction?

Une adaptation filmée existe, sous le même titre, tout à fait à la hauteur, ce qui est assez rare pour être souligné.



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Séjournant dans un chalet isolé en pleine montagne, une femme se retrouve subitement coupée du reste du monde suite à l'apparition d'un mur invisible, au-delà duquel personne ne semble avoir survécu. Seule survivante de ce phénomène inexplicable, elle doit dorénavant tenter de subsister, accompagnée de quelques animaux domestiques…

Même s'il se retrouve labellisé « science-fiction », ce livre post-apocalyptique, datant de 1963 dans sa version originale, se rapproche plus du genre « nature writing » ou du récit de survie à la Robinson Crusoé. le mur transparent qui constitue le point de départ du roman et dont on ne connaîtra d'ailleurs jamais l'origine, s'avère en effet plutôt symbolique et n'est finalement qu'un prétexte afin d'entamer une réflexion profonde sur la condition humaine et sur notre rapport à la nature et aux animaux.

L'héroïne, dont on n'apprendra d'ailleurs jamais le nom, doit subitement faire face à une solitude extrême au coeur d'un monde où le temps n'est dorénavant plus rythmé par des montres, mais par la nature et par les saisons. Outre les problèmes liés à sa survie, qui changent radicalement son rapport à la nature et à ses ressources vitales, elle tisse également des liens profonds avec les quelques animaux qui viennent combler ses manques affectifs.

Les amateurs d'action devront donc passer leur chemin car l'auteur autrichienne livre un roman très contemplatif au coeur d'une nature omniprésente qu'elle dépeint à merveille. La nature ne se retrouve donc pas reléguée dans un vulgaire rôle de décor, mais au centre des besoins de cette femme qui tente de survivre. En invitant à réfléchir sur notre rapport à la nature, Marlen Haushofer semble vouloir réveiller nos consciences et nous inviter à la respecter et à vivre en harmonie avec elle.

Ce journal intime marqué par l'absence de conversations et rythmé par des saisons qui se suivent et se ressemblent, aurait donc facilement pu donner naissance à quelques longueurs si ce surplus de temps n'invitait pas à continuellement réfléchir à la vacuité de nos propres existences et aux préoccupations futiles qui animent notre quotidien. Dans ce monde où l'apparence physique devient sans importance et où la consommation se retrouve réduite aux besoins les plus fondamentaux, l'essence de la vie semble vouloir remonter à la surface, loin des artifices et de la violence de notre société moderne…
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« M'obliger à écrire me semble le seul moyen de ne pas perdre la raison. Je n'ai personne ici qui puisse réfléchir à ma place ou prendre soin de moi. Je suis seule et je dois essayer de survivre aux longs et sombres mois d'hiver. Il est peu probable que ces lignes soient un jour découvertes. »

Rarement récit m'aura à ce point donné l'impression d'obéir à une nécessité intérieure, à une raison impérieuse. Les phrases sont calmes et posées et pourtant il s'en dégage un sentiment d'urgence que je reçois à l'instant où j'entre dans ce livre. Cette femme, sa voix se sont introduites si profondément en moi, bousculant mon intimité, que j'ai dû ménager des pauses dans ma lecture, le temps de me remettre de mes émotions, de reprendre tranquillement possession de mon être et de ma vie. Sa peur de devenir folle, son incommensurable solitude furent miennes durant tout ce temps et, pour être franche, si le texte n'avait été si beau dans sa simplicité, si juste dans sa vision du monde, si, par-dessus tout, je n'avais eu le sentiment de commettre une indignité, un sacrilège en n'écoutant pas jusqu'au bout son récit, je l'aurais lâchement abandonné.

Rarement récit m'aura à ce point donné l'impression d'être une bouteille jetée à la mer : écrit avec l'espoir insensé d'être lu et infiniment peu de chances de l'être.
« Mon coeur bat plus vite quand je me représente que des yeux humains se poseront sur ces lignes et que des mains humaines tourneront ces pages. Il est plus probable que ce seront les souris qui dévoreront cette histoire. »

Car la femme qui a écrit ce récit avec l'espoir déraisonnable qu'il soit lu un jour par des yeux humains est très vraisemblablement l'unique survivante d'une catastrophe aux origines mystérieuses qui a éradiqué toute vie de la surface de la Terre. Seule la vallée située à l'extrémité d'une gorge sous les parois abruptes d'une montagne où elle se retrouve seule, avec pour refuge un chalet en troncs massifs et pour unique ami Lynx, un braque de Bavière au beau pelage roux, a été épargnée, séparée du reste du monde par un mur invisible. Il est donc plus qu'improbable que son récit soit jamais lu, mais au fond, ce geste désespéré et insensé, ce désir fou d'être lu, compris, aimé, n'est-ce pas celui de Marlen Haushofer elle-même, celui d'une femme née en un lieu, l'Autriche, et à une époque, 1920, où le monde était organisé par et pour les hommes?
Difficile de dire dans quelle mesure la narratrice emprunte ses traits à ceux de l'auteure, mais ce qui est sûr, c'est qu'elle les partage avec nombre de femmes de son temps :
« Encore jeune fille, elle se chargea en toute inconscience d'un lourd fardeau et fonda une famille, après quoi elle ne cessa plus d'être accablée par un nombre écrasant de devoirs et de soucis. Seule une géante aurait pu se libérer et elle était loin d'être une géante, juste une femme surmenée, à l'intelligence moyenne, condamnée à vivre dans un monde hostile aux femmes, un monde qui lui parut toujours étranger et inquiétant. »

Femme surmenée « condamnée à vivre dans un monde hostile aux femmes», il ne lui a jamais été donné de prendre sa vie en main… jusqu'à l'apparition providentielle et terrifiante du mur invisible, ce mur froid et transparent qui à la fois la tient prisonnière et la sauve d'une mort certaine, et qui, paradoxalement, pose les bases de sa liberté :
« Grelottante dans mon lit, j'envisageai toutes les possibilités qui me restaient. Je pouvais me tuer, ou chercher à creuser un passage sous le mur, ce qui n'était sans doute qu'une façon plus pénible d'arriver au même résultat. Et, bien entendu, je pouvais aussi rester ici et essayer de survivre. »

C'est ainsi que mue par une sorte de curiosité — « le mur posait une énigme et j'ai toujours été incapable d'abandonner une énigme dont je n'ai pas trouvé la solution » —, mue par l'amour qu'elle voue à ses bêtes, par le sentiment de responsabilité qu'elle ressent à leur égard, elle organise sa survie et prend enfin sa vie en main, seule.

C'est de cette survie qui s'organise et se précise jour après jour, mois après mois, dont nous sommes témoins. Une vie de dur labeur soumise au découragement, à l'inquiétude et à la peur, mais une vie authentique calée sur le rythme de la nature et des saisons, traversée par des moments de joie pure et marquée par la satisfaction du travail bien fait. Une vie rendue possible par la prodigalité de la nature environnante et par l'omniprésence des bêtes. du chien Lynx, indéfectible compagnon à l'écoute des états d'âme de sa maîtresse prêt à sacrifier sa vie pour elle, à la douce Bella, jeune vache pourvoyeuse de lait et de tendresse, en passant par la vieille chatte à demi sauvage ainsi que par toutes celles qui peuplent la rivière, la montagne et les cieux, les bêtes contribuent à rendre cette vie de solitude et de labeur non seulement possible, mais encore désirable. Ce sont elles et le lien étroit qui les unit à la narratrice qui font, à mes yeux, la force et la grande originalité de ce récit. Je crois n'avoir jamais lu de pages aussi poignantes, aussi justes sur le lien puissant, vital, qui attache l'être humain à l'animal. Loin de tout sentimentalisme, sans céder à la tentation de l'anthropomorphisme, Marlen Haushofer crée sous nos yeux une relation faite de réciprocité, d'amour, d'entraide, de compréhension et de respect qui m'a profondément bouleversée.

« Bella paissait sur le pré de la forêt et tournait parfois la tête vers moi. Lynx courait à portée de voix et Perle était sur le banc, occupée à suivre les yeux mi-clos le vol des bourdons. À l'intérieur du chalet, la vieille chatte dormait sur mon lit. Pour l'instant tout était en ordre et je n'avais pas de souci à me faire. »

Rarement récit m'aura à ce point donné l'impression de s'adresser à moi et à moi seule. Un immense merci à Sandrine (@Hundreddreams) dont le récent et remarquable billet m'a fait découvrir et ce livre, et son auteure.
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Coup de coeur!
Expérience-limite dans la montagne

« Aujourd'hui cinq novembre je commence mon récit. Je noterai tout, aussi exactement que possible. Pourtant je ne sais même pas si aujourd'hui est bien le cinq novembre. Au cours de l'hiver dernier quelques jours m'ont échappé. Je ne pourrais pas dire non plus quel jour de la semaine c'est. Mais je pense que cela n'a pas beaucoup d'importance ».
Le livre s'ouvre sur un journal, un récit-témoignage de la narratrice qui se retrouve mystérieusement prisonnière de la montagne autrichienne.
Alors qu'elle est invitée à passer quelques jours dans un chalet isolé appartenant à sa cousine et son époux ,passionnés de chasse, ces derniers décident de faire un saut au village. Ils ne reviendront jamais. Partie à leur recherche elle se heurte violemment à une paroi lisse et froide : un mur invisible divisant la vallée (métaphorique bien sûr).
Un mur incassable en pleine forêt dont elle ignore l'origine mais présuppose qu'il est la nouvelle arme d'une guerre qu'elle pressentait.
Le plus inquiétant est que de l'autre côté de cette frontière mystérieuse on ne perçoit plus aucun signe de vie, seul règne le silence. Tout est inanimé. Subsistent quelques corps sans vie, figés.
N'ayant aucun moyen de communiquer ni d'interlocuteurs, elle met tout en oeuvre pour organiser sa survie avec les moyens du bord.
Dans son périmètre les écosystèmes ont été épargnés et la vie continue.

Les animaux, indispensables à sa survie, seront son salut et lui donneront la force de se battre. Elle trouve une échappatoire dans le labeur quotidien (en plus de se rationner elle pêche, chasse, bêche, cultive, récolte, trait, coupe du bois…).


Ce qui est le plus touchant et attachant dans ce récit empli d'onirisme c'est précisément la symbiose avec les animaux et la nature❤️( à la fois danger et refuge).
Il y a également beaucoup de questionnements divers et intéressants sur le rapport à soi, à l'autre, la connaissance de ses limites, la maternité, la conscience, le superflu, le temps, la condition des femmes...

Quel beau texte! N'hésitez pas à passer de l'autre côté du mur. Une belle leçon de vie.
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Roman post-apocalyptique ou plutôt récit parabolique centré sur une expérience-limite ? Je penche pour la seconde hypothèse.
Une narratrice dont on ne connaîtra jamais le nom a décidé d'écrire un journal de bord dans lequel elle conte ce qu'est devenue sa vie quotidienne depuis qu'un mur invisible l'a isolée du restant de l'humanité dans un coin de la forêt autrichienne où elle séjournait avec son cousin Hugo et son épouse. D'humanité, il n'est plus question non plus puisque tout le monde, vivant derrière cet obstacle devenu infranchissable, semble être complètement pétrifié.
J'avoue que bien vite j'ai oublié ce mur dont la narratrice confesse presque, à un moment dans le roman, le caractère symbolique, pour suivre cette odyssée extra-ordinaire que nous conte Marlen Haushoer et qui pourrait tout aussi bien être celle d'un(e) ermite en rupture de banc avec la société où elle/il vit. Or on ne quitte pas impunément le monde d'où l'on vient et cette femme va être assaillie au début de cette aventure hors du commun par toutes les peurs archaïques qui peuvent surgir dans une telle situation. Peur de l'abandon lorsqu'elle va s'apercevoir qu'elle est vraiment seule au monde au sens premier du terme. Mais son instinct de survie et son sens de la combativité vont activer en elle une forte capacité de résilience et elle va renouer avec des racines paysannes dont elle n'avait plus conscience. C'est également une véritable ascèse qu'elle va accomplir en passant de la résignation à l'acceptation d'un nouvel ordre du monde qui la dépasse mais auquel elle se soumet. Son mode de vie va donc radicalement changer. Abandon d'une féminité qu'elle perçoit comme trop liée à l'apparence et aux rites sociaux qui la sous-tendent. Abandon progressif des repères de temps. Elle va même assumer avec courage et lucidité son goût pour la solitude et une certaine misanthropie.
Est-ce au profit d'une sorte d'ataraxie désincarnée dans laquelle elle se détacherait complètement de son environnement jusqu'à la mort ? Pas du tout ! Va se présenter à elle un nouvel ordre du monde dans lequel elle se sent bien plus heureuse qu'avant notamment au coeur de la nature ou au fond de la forêt. Et surtout elle va tisser des liens privilégiés avec des animaux qui vont devenir sa nouvelle famille, avec toutes les joies et les peines qui l'accompagnent. le récit des moments d'intimité avec Lynx, Bella, la vieille chatte et ses chatons m'ont beaucoup touchée par l'empathie et la tendresse qu'ils dégagent. Et seule son acceptation d'un ordre cosmique qui lui est supérieur va lui permettre de continuer à vivre après la mort de Lynx son chien et même d'envisager la sienne avec une certaine sérénité...
Ce roman m'a fortement interpellée par les questionnements qu'il soulève. A quoi tient notre humanité ? Qui sommes-nous une fois privés de tous les repères sociaux qui sont les nôtres ? Quid de notre capacité de résilience dans des circonstances extrêmes ? A aucun moment l'écriture froide et distanciée de la narratrice ne laisse d'échappatoire. J'ai suivi pas à pas la narratrice dans son parcours initiatique, même si j'aurais souhaité à certaines moments plus d'émotions...
Dernier questionnement non moins fort que les autres mais plus collectif et qui court en sous-thème dans tout le roman : l'urgence de préserver un ordre du monde dans lequel on puisse vivre en harmonie avec la nature et tout le vivant.
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Déjà quelques jours écoulés depuis la fin de cette lecture et je ne sais toujours pas vraiment comment aborder ce retour. Et pourtant, je vais essayer pour pouvoir dans quelques années me remémorer ce que ce livre a fait naitre en moi.

Je l'ai lu pendant mes vacances en Haute-Savoie, vacances qui m'ont donné l'occasion de partager de bons moments et de bons repas (A table, n'est-ce pas Berni) avec des amis de là-bas. Et à chaque fois, nous discutions de nos lectures récentes. Et je me trouvais souvent à cours de mots pour évoquer ce roman: l'histoire d'une femme qui se retrouve seule après une catastrophe qui l'isole à l'intérieur d'un mur invisible, où elle survivra avec quelques animaux. L'énoncé de ce résumé suscitait le plus souvent l'étonnement sur l'intérêt de cette lecture et des questions sur ce qu'il pouvait bien s'y passer. Et j'avais du mal à exprimer oralement comment et pourquoi l'histoire de cette femme me passionnait. Voyons si par écrit cela sera plus "efficace".

J'ai aimé d'abord la façon dont le récit est relaté. il ne s'agit pas d'un simple journal, écrit au jour le jour. Mais d'un récit commencé après un peu plus de deux années passées dans cette situation, où cette femme relate ses souvenirs, mais aussi laisse des allusions au présent et à des évènements récents, tragiques. On découvrira seulement dans les toutes dernières pages ce qui s'est passé, et la force du récit, le sentiment de communion avec cette femme sont tels que je n'ai ressenti aucune désapprobation (et le mot est faible, le sentiment aurait du même être beaucoup plus fort) en découvrant ce qui s'est passé. Cette structure narrative est pour beaucoup dans le sentiment d'attachement que j'ai éprouvé pour cette femme.

Et puis, il y a aussi la relation de ses rapports avec la nature, et surtout avec les animaux. Un chien, une vache, quelques chats. La relation qu'elle établit avec eux est très forte. Une compréhension mutuelle de leurs besoins, les besoins des animaux, bien sûr, mais aussi les besoins de cette femme préside à ces rapports, et il ne s'agit pas seulement de besoins matériels, mais surtout de besoins de présence, d'échange, d'amour dirais-je même. Les pages où elle parle des animaux, de ce qu'ils lui apportent sont de toute beauté.

Elle parle aussi du monde d'avant, de la place qu'elle y occupait. Ces pages sont celles qui m'ont le moins touchée. J'y ai préféré la relation de son apprentissage de cette vie complètement nouvelle, elle m'y a bouleversée, impressionnée. Je me suis imaginée dans cette situation et ne peux que me montrer admirative pour ce qu'elle est capable de faire. Je n'en aurai sans doute pas été capable ... même si je sais traire une vache.

Et que dire de l'écriture, au plus près de cette nature préservée sous ce mur. une écriture à la fois poétique et forcément prosaïque, où alternent descriptions de paysages, détails des occupations et des solutions à apporter aux différents problèmes auxquels elle doit faire face, et réflexions sur le monde tel qu'il était et celui-ci, inédit.

Une lecture qui résonne, une lecture encore très présente dans mon esprit, une lecture que je ne suis pas près d'oublier.

Ce livre était rentré dans ma PAL grâce à la magnifique critique de HordeDuContrevent, il y a déjà longtemps. Et les retours récents également superbes de AnnaCan et HundredDreams m'ont décidée à l'en sortir. Merci à vous trois. C'est un livre que je n'aurai surement jamais lu sinon.
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Depuis quelques temps maintenant, j'essaie régulièrement de donner la chance à un roman qui languit depuis de nombreuses années dans ma bibliothèque. C'est ainsi que j'ai lu « Les vestiges du jour », « Anna Karenine » ou « Martin Eden ».
Cette fois-ci, je me suis laissée tenter par le roman post-apocalyptique de l'autrichienne Marlen Haushofer, « le Mur invisible ».

Avec le recul, je me demande encore comment j'ai pu laisser de côté pendant si longtemps de tels romans, ils sont aussi beaux les uns que les autres dans des styles très différents.

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La narratrice a été invitée par un couple d'amis à se reposer pendant quelques jours dans leur pavillon de chasse perdu dans les Alpes autrichiennes.
Le soir même, le couple descend au village, la laissant seule se reposer avec pour seule compagnie, Lynx, le chien du couple. le lendemain, à son réveil, elle constate que ses amis ne sont pas revenus. Inquiète, elle décide de partir à leur rencontre et découvre qu'un mur transparent, infranchissable, s'est refermé sur le chalet et ses environs pendant la nuit, l'isolant totalement du reste du monde.

Ce mur est un mystère et questionne forcément : comment est-il apparu ? Qui l'a construit ? Dans quel but ? Que s'est-il passé de l'autre côté du mur pendant son sommeil ? Pourquoi est-elle la seule rescapée ?
Toutes ces questions resteront sans réponses.

« Les choses arrivent tout simplement et, comme des millions d'hommes avant moi, je cherche à leur trouver un sens parce que mon orgueil ne veut pas admettre que le sens d'un événement est tout entier dans cet événement. »

Si cette femme est dorénavant seule, piégée derrière cette gangue translucide, le mur l'a également protégée et sauvée de la mort car au-delà du mur, tous êtres vivants sont figés dans la mort, comme des statues de pierre.

« Si c'était ça la mort, elle avait été très rapide et douce, presque tendre. »

Alors une nouvelle question nous effleure : pourquoi continuer à vivre quand le monde auquel on tenait a disparu, quand les êtres que l'on aimait ne se sont plus là et que l'on est désormais seul ?

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Publié en 1963, ce roman est plutôt étonnant : en effet, s'il est classé dans le genre science-fiction, je le trouve plus proche du journal intime ou du récit de survie.
En effet, la narratrice consigne la routine de son quotidien, sa solitude, ses difficultés à s'adapter, à apprendre les gestes qui sauvent. A ce récit, s'immiscent des réflexions sur la vie et la survie, la peur et le courage, la solitude et le temps qui passe, la souffrance et le dépassement de soi, le deuil et les souvenirs, l'enfermement et la liberté. Malgré la violence de certains passages dont elle ne pose que quelques mots tristes et douloureux, ses paroles sont réfléchies, sages et introspectives.

« Aimer et prendre soin d'un être est une tâche très pénible et beaucoup plus difficile que tuer ou détruire. Élever un enfant représente vingt ans de travail, le tuer ne prend que dix secondes. »

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L'autrice nous offre le portrait inoubliable d'une femme dont le lecteur ne connaîtra jamais le nom. Sensible, fragile, forte, elle n'a d'autre choix que de s'adapter à de conditions de vie éprouvantes, de faire preuve d'ingéniosité et d'habileté pour affronter seule tous ses obstacles, toutes les dures épreuves qui se présentent. Et même si des angoisses s'insèrent souvent dans ses pensées, elle trouve toutefois la force et le courage de se dépasser, d'avancer.

L'autrice fait preuve d'une puissance évocatrice rare pour parler des animaux. J'ai adoré la relation que la narratrice nouera chacun d'entre eux. Que se soit pour évoquer la petite mésange retrouvée morte, la corneille blanche rejetée par les siens, la chatte craintive et indépendante, la jolie Perle avec sa fourrure angora d'un blanc immaculé, la vache et son petit.
Mais parmi eux, Lynx garde une place particulière.
Lynx, ce merveilleux compagnon, à la fois fidèle, affectueux, protecteur et réconfortant.

« Lynx était joyeux et plein d'exubérance, mais un étranger n'y aurait pas vu un grand changement. Il était en effet toujours en train et je ne l'ai jamais vu d'humeur maussade plus de trois minutes. Il lui était tout simplement impossible de résister à l'invitation d'être gai. Et la vie dans la forêt offrait des tentations constantes. le soleil, la neige, le vent, la pluie, tout lui était une occasion de s'enthousiasmer. Je n'ai jamais pu rester triste bien longtemps à ses côtés. »

A cette présence rassurante viendront s'ajouter par la suite d'autres animaux, piégés eux aussi à l'intérieur de l'enceinte du mur.

« Depuis sa mort je rêve souvent d'animaux. Ils me parlent comme des humains et dans mes rêves cela me semble tout naturel. Les gens qui peuplaient mes nuits pendant le premier hiver ont complètement disparu. Je ne les vois plus jamais. Ils ne se montraient pas particulièrement aimables dans ces rêves, alors que les animaux y sont amicaux et plein d'entrain. Mais à la réflexion il n'y a là rien d'étonnant, cela montre tout au plus ce que j'ai toujours attendu des hommes et ce que j'ai toujours attendu des animaux. »

De cette expérience éprouvante, l'héroïne va s'interroger sur la nature humaine, le monde moderne et notre dépendance aux autres et aux objets du quotidien, notre environnement, notre rapport aux animaux et notre responsabilité envers les êtres qui dépendent de nous.
C'est un monde sans espoir, sans avenir, et pourtant, il y flotte un parfum de liberté, de bonheur, de tendresse, d'amour, loin de la violence des hommes. Car, si beaucoup d'entre nous n'auraient pas manqué de se sentir emprisonnés, apeurés, oppressés par la solitude, la narratrice retrouve petit à petit l'apaisement dans le silence de la forêt, dans le calme de la nuit, dans la compagnie des animaux. Comme elle, j'ai aimé ressentir cette quiétude, cet accord parfait avec la nature.

« La forêt n'est jamais entièrement silencieuse. On la croit silencieuse, alors qu'elle recèle des bruits innombrables. Un pivert frappe ses coups au loin, un oiseau crie, une branche frappe contre un tronc et quelque petit animal fait craquer le rameau sous lequel il passe. Tout vit et travaille. Mais ce soir-là il régnait un silence presque total. »

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Si « le mur invisible » est avant tout un roman sur la survie et la résilience, Marlen Haushofer dépeint à merveille les paysages et la nature, les alpages et les grands espaces où les vastes forêts et les montagnes sont davantage qu'un décor. Par ses valeurs humanistes, son empathie, son respect pour la vie sous toutes ses formes, la narratrice éveille nos consciences, nous montrant l'importance de nous soucier de notre environnement.

Le roman est écrit très simplement, mais il y a de la beauté dans chaque page du livre et dans chaque scène. J'ai particulièrement apprécié écouter le sifflement du vent dans les gorges, respirer l'air pur empli du parfum des fleurs sauvages, profiter du soleil en contemplant les animaux, me promener avec Lynx, admirer le ciel piqueté d'étoiles.

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Quant à l'écriture, je vous en ai déjà glissé quelques mots, elle est non seulement délicate, poétique, mais également subtile. le ton est juste, sans affectation, sans monotonie ni platitude.
Les sentiments profonds s'y dessinent dans un rythme lent, désabusé et mélancolique qui convient aux pensées de la femme, à sa vie tournée vers le labeur, la méditation et la contemplation. Les sentiments de chagrin, de désespoir et de peur côtoient des émotions plus douces, plus légères, plus sereines.

« Les orties continueront à pousser, même si je les arrache cent fois, et elles me survivront. Elles ont tellement plus de temps que moi. Un jour, je ne serai plus là et plus personne ne fauchera le pré, alors le sous-bois gagnera du terrain puis la forêt s'avancera jusqu'au mur en reconquérant le sol que l'homme lui avait volé. Quand mes pensées s'embrouillent, c'est comme si la forêt avait commencé à allonger en moi ses racines pour penser avec mon cerveau ses vieilles et éternelles pensées. Et la forêt ne veut pas que les hommes reviennent. »

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A la fois simple, émouvant, ce roman magnifique m'a profondément touchée. Il est à la fois tendre et brutal, calme et violent, silencieux et fracassant. En lisant ce journal, nous pénétrons dans les pensées les plus intimes et profondes de la narratrice et nous découvrons une très belle personne.
Ode à la nature, à un retour à un mode de vie plus simple et respectueux.

Un gros coup de coeur, un roman que je vous engage à découvrir si vous aimez les romans d'atmosphère.

« … la chatte s'est rapprochée de moi, elle a peut-être compris que nous dépendons l'une de l'autre, en fait elle était jalouse du chien sans vouloir le montrer. En vérité, je dépends plus d'elle qu'elle de moi. Il suffit que je lui parle, que je la caresse, pour que sa chaleur passe doucement de son corps à mes paumes et me console. Je ne pense pas que la chatte ait besoin de moi comme j'ai besoin d'elle. »

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Je remercie pour finir tous mes amis de Babelio pour ce cheminement dans ce magnifique roman. Nos différents regards sont une richesse pour lire des oeuvres sujettes à de multiples interprétations.
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