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Critique de jo75


Nikolaus Heidelbach publie un nouvel album et c'est un événement. le sujet est tiré de légendes écossaises et irlandaises, mais on le retrouve aussi chez les Inuit et d'autres peuples du Nord. Heidelbach a choisi pour épigraphe une citation de David Thomson, auteur d'un livre The people of the Sea, A Journey in Search of the Seal Legend (le bateau du pêcheur s'appelle aussi David), sans doute pour souligner ce qu'il doit à Thomson, qui a recueilli ces histoires de femmes-phoques (plus rarement d'hommes-phoques), les « selkies », dans les années cinquante, avant qu'elles ne tombent dans l'oubli.

D'emblée, les pages de garde plongent le lecteur dans le mystère de fonds marins bleutés, agités par le courant et peuplés d'algues et d'invertébrés. Au contraire, dans les pages de titre, un maquereau se tient tout seul, tête en bas, parfaitement immobile et vertical, et page suivante, dans la même position mais en miroir, se tient l'enfant-phoque de la couverture, en short de bain rouge (on ne le verra jamais avec d'autres vêtements, sinon un peignoir) et lunettes de plongée. Suit une double page où l'enfant et le maquereau, nageant en apesanteur dans l'espace blanc, dessinent un arc de cercle parfait avant de jaillir de l'eau page suivante. La narration commence, c'est l'enfant qui raconte : « Je n'ai jamais appris à nager, j'ai toujours su. » D'où tient-il ce savoir ? Une petite maison côtière isolée, un porche en fanons de baleine, un drapeau dans le vent. le père est pêcheur, souvent absent ; l'enfant ne va pas à l'école : quand il a aidé sa mère pour la maison et le jardin, il part nager. le soir, sa mère lui raconte le peuple des créatures marines et les pages s'emplissent de « lamantins courtisans, bernard-perlites, moulimaces… », tout un monde chimérique, à l'inquiétante étrangeté. Ces êtres hybrides, dotés de pouvoirs magiques, comme en attestent leurs colliers, perles, sceptre ou couronnes, forment un cortège ondoyant et viennent habiter les rêves de l'enfant.
D'où sa mère tient-elle ces histoires, elle qui ne trempe pas même ses pieds dans l'eau ?
Un soir, l'enfant voit son père revenir de la remise avec « un truc brillant » dans les bras. Il comprend que sa mère cherche aussi ce « truc » mais c'est lui qui le trouve : c'est une peau de phoque. Pour lui, pas de doute : son père est un de ces hommes-phoques dont il connaît l'histoire, qui garde sa peau dans un endroit secret pour pouvoir un jour repartir en mer. Il fait part de sa découverte à sa mère. le lendemain, mère et peau ont disparu. le père rentre et comprend : « Alors il m'a pris dans les bras et il ne m'a plus lâché. » Rien de plus n'est dit, mais dans l'étreinte du père et de son enfant se lisent à la fois la tristesse et la tendresse infinies, l'acceptation et la confiance. Une saison passe : « On s'en sort bien tous les deux. »
La mère-phoque envoie de temps à autre un signe (des maquereaux posés sur un caillou), l'album se clôt sur l'enfant, minuscule face à l'horizon, qui s'inscrit dans sa double filiation : « Lorsque je serai grand, je serai marin. Ou phoque », et dans les pages de garde, une famille phoque, père, mère, petit, nage dans les grands fonds.

On retrouve intact dans cet album envoûtant le pouvoir de fascination qu'exercent les images de Nikolaus Heidelbach. Mais dans celui-ci, le monde extérieur occupe peut-être plus de place : l'eau, l'air, le sable et le ciel se partagent l'espace dans les aquarelles d'horizons marins où les bleus dominent et où l'enfant apparaît tout petit. Ces paysages presque vides contrastent avec les six pages où les créatures sous-marines déploient la profusion de leurs couleurs et motifs dans une longue ondulation; elles deviennent comme comme un seul corps engendré par les histoires de la mère. Dans la maison, les tons gris et bruns évoquent un quotidien qui semble paisible – mais rien ne peut être tenu pour sûr dans une image de Heidelbach –, quelques objets rappellent la mer : un nautile peint sur une assiette, un harpon accroché au mur. Chaque image demande qu'on s'y attarde et, comme souvent chez Heidelbach, elle n'illustre pas le texte à la lettre. Les ellipses narratives laissent le choix de l'interprétation : cette histoire est de celle qu'on relit pour trouver un sens caché, un détail qui avait échappé. L'enfant-phoque, qui rend à sa mère sa liberté, habitera sans doute pour longtemps l'imaginaire des enfants-lecteurs.
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