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Critique de berni_29


♪♪♫ Dis-moi, Céline, les années ont passé... ♪♬♫...
Mais non, il ne s'agit pas de cette Céline-là, que certains de ma génération connaissent si bien pour avoir naguère fredonné cette chanson ou avoir été touché de l'entendre... Ici dans ce dernier roman de Peter Heller, pour Céline Watkins, détective privée et accessoirement artiste, réalisant des œuvres artistiques à partir de crânes humains, les années ont également passé.
Elle est encore marquée par la perte récente de ses deux sœurs, mortes toutes deux d'une longue maladie.
Elle a soixante-huit ans, vit à New-York, tout près de l'East River. Parfois elle a du mal à respirer, elle souffre d'un emphysème, conséquence d'avoir fumé quatre paquets de cigarettes durant des décennies, ancienne alcoolique, le corps est usé. Cela ne l'empêche pas d'être élégante, magistrale, pleine d'ironie.
Les années ont passé et le passé est toujours là, qui vient la hanter avec ses fantômes parfois encombrants, ceux qui vous suivent à la trace. Elle vit à présent avec son mari Pete, taiseux remarquable et qui l'accompagne dans ses enquêtes, sorte de fidèle docteur Watson avec l'amour en plus. Quoiqu'on ne sache après tout pas grand-chose de la vie sentimentale de Sherlock Holmes... !
Céline est une détective privée atypique, on ne vient jamais la voir à l'improviste, ni par hasard...
Céline Watkins n'est pas une détective comme les autres. Très sensible à la détresse d'autrui, elle a comme une sorte de passion pour les perdants. Elle prend toujours le parti des plus faibles, des laissés-pour-compte, des enfants, des vagabonds, des sans-abris, des malchanceux, des toxicos... Ceux qui la sollicitent sont le plus souvent des personnes n'ayant aucune ressource ni aucun pouvoir, autant dire aucun moyen de rémunérer ses services. Qu'importe pour Céline !
Céline a un sens très développé de l'empathie et ce qui en fait dès le début du roman un personnage très attachant. Cela dit, elle ne sort jamais sans son Glock solidement arrimé sous son aisselle.
Courir après les criminels n'est pas sa tasse de thé, courir à la recherche de personnes disparues, oui.
Les années ont passé pour Céline et celle-ci veut tirer sa révérence du métier de détective pour se consacrer désormais exclusivement à son mari et à son art.
Aussi lorsqu'une jeune femme, Gabriela, vient la solliciter pour rechercher son père dont elle n'a plus de nouvelles depuis vingt ans, elle y voit ici comme une dernière occasion, une sorte de baroud d'honneur...
C'est à la frontière entre le Wyoming et le Montana, du côté du célèbre parc national de Yellowstone, qu'on perd la trace du père de Gabriela, Paul Lamont photographe au National Geographic ; une mauvaise rencontre avec un ours semble être la cause avancée de cette disparition... Cette version des faits n'a jamais satisfait Gabriela... Enfant, elle fut in extremis secourue de la noyade, par ce même père aimant, mais qui ne put sauver sa mère, portant dès lors ce deuil comme une douleur lancinante et
« Parfois la mort est la forme d'absence la moins douloureuse », pense Céline.
L'histoire de Gabriela ne laisse pas indifférente Céline. le passé de cette dernière revient comme une résurgence. Céline pense que le temps ne guérit pas toutes les blessures, loin de là...
Il serait mal inspiré de réduire ce roman a une simple enquête policière.
Incroyablement pleine de douceur, Céline accueille la demande de Gabriela avec toute l'empathie qui la caractérise. Céline se retrouve dans l'histoire de Gabriela, qui vient réveiller en elle une peur primale. Les enfants payent toujours le prix fort.
Céline semble comprendre ce qu'est l'abandon d'une fille par son père. Elle peut aussi comprendre le désespoir de ces pères qui ont fait le choix de partir.
Alors, nous voilà plongés dans un trépidant road-movie en direction du célèbre parc national de Yellowstone ! Céline et Pete sentent très vite que les contours de cette histoire recèle une atmosphère particulière prête à chaque instant à bifurquer vers le côté le plus sombre du décor.
Faisant alliance avec les personnages du récit, l'appel de la nature prend le relais dans des descriptions majestueuses. Peter Heller a planté le décor de son dernier roman dans les grands espaces aux confins du Wyoming, du Colorado et du Montana et l'esprit qui habite ces pages m'a ramené irrémédiablement vers Jim Harrison et Edward Abbey, vers les courbes d'un paysage familier et en même temps sauvage que je reconnaissais. J'avais joie de retrouver cette ambiance comme une promesse.
Les grands espaces s'ouvrent alors pour laisser passer le camping-car de Céline et de son mari Pete, à la recherche d'un étonnant secret, dont Yellowstone en est peut-être le sanctuaire...
Céline et son mari laconique se fondent avec harmonie dans ce décor grandiose et millénaire. Ils ont cette complicité qui fait mouche, ils sont confiants. J'ai adoré cette intelligence faite d'amour qui les lie et la dimension surprenante de leur couple, apporte une touche de fraîcheur.
« La beauté la plus incontestable est celle peut-être qu'on ne peut jamais toucher. »
Ici il est question de l'enfance, des liens familiaux, de l'abandon, d'une douleur qui ressemble parfois à celle de l'exil. Il y a toujours une émotion à fleur de peau qui traverse le paysage, s'accroche aux rides de Céline.
Par moments, on jurerait que l'espace intérieur qui habite Céline est aussi grand que le parc du Yellowstone.
Parfois Céline a du mal à respirer et tout n'est pas forcément à mettre sur le compte de son emphysème. Mais il y a toujours un humour pince-sans-rire qui sauve la mise, au moment où la terre tremble, où le sol s'ouvre, où les voix du passé resurgissent de ce trou béant, faisant vaciller le monde sur son axe.
Sur les pages de ce livre empli de lumière, d'espace et d'horizon, je me suis senti comme un oiseau qui venait de se poser et qui ne souhaitait pas reprendre tout de suite son envol.
Je découvre ici Peter Heller, sa très belle écriture et son univers unique, une bien belle invitation à découvrir ses autres romans.
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