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Critique de Denis3


J'avais raté mon premier rendez-vous avec Hemingway: trop impressionné par le style balzacien, j'avais lu "Pour qui sonne le glas" comme un simple roman d'aventures. Sa vraie thématique: la vie, la mort, la liberté, la justice, l'engagement, m'avait totalement échappé. Plus tard, j'ai lu " Paris est une fête", qui m'a beaucoup plu. Mais ce n'est pas vraiment un roman, et Hemingway l'a écrit alors qu'il n'était plus au mieux de sa forme. Afin d'avoir ma rencontre avec l'Hemingway des grands jours, oeuvrant à ses thèmes de prédilection, j'ai voulu me tourner vers "Mort dans l'Après-Midi". La tauromachie, dont il était féru, allait certainement faire ouvrir tous les régistres de son talent.

Malheureusement il ne s'agit pas d'un roman. Plutôt d'une initiation à la tauromachie. Qu'est-ce qu'un bon matador? Quelles qualités recherche t-on chez un taureau de combat ? Où sont les meilleures places dans l'arène ? Comment trouver de bons tickets pour pas trop cher dans l'Espagne des années vingt et trente ? Mais au-delà de ces questions pratiques, Hemingway essaye de donner une impression de ce qu'est un corrida. Ce n'est pas un sport, dit-il, c'est l'exécution rituelle d'un taureau. Car même si le matador n'arrive pas à le tuer dans les quinze minutes qui lui sont accordées, il sera abattu immédiatement après le combat. L'homme risque sa vie, mais le taureau meurt toujours.

Pour quelqu'un qui, comme moi, n'a jamais assisté à une corrida, il est très difficile de comprendre l'enjeu. de quoi s'agit-il ? Qu'est-ce que ces gens applaudissent ? Apparemment, le matador exploite des biais cognitifs du taureau pour le manipuler : il est attiré par les couleurs vives et les mouvements amples ou brusques. La cape, puis la muléta qui lui sont tendues sont des stimulants irrésistibles et le taureau fonce dessus. L'art du matador consiste à déployer une gestuelle qui montre sa connaissance du répertoire codifié de ces gestes, son contrôle du taureau, et sa maîtrise de soi devant cinq cents kilos de muscles et d'os qui lui foncent dessus pour l'encorner. le tout forme une sorte de danse de combat qui est sensée être belle.

Jusque là, la chose me parait bizarre mais concevable. Mais je ne vois pas pourquoi il faudrait tuer le taureau. Hemingway dit qu'un taureau de combat apprend vite. Il y avait de son temps des corridas informelles, sans mise à mort, où une petite ville fermait une place avec des chariots, et on lachait un taureau que des amateurs essayaient de toréer avec une cape. Un taureau qui a passé qualques heures à chasser une cape a compris le truc : il ne charge plus que quand il est certain d'encorner son homme. Il est devenu beaucoup trop dangeureux. C'est pourquoi ces spectacles étaient interdits, et le taureau ne peut courir qu'une fois. Mais alors pourquoi pas une paisible retraite ? Sans doute est-il trop blessé... Justement, pourquoi l'endommager à ce point ? Parce qu'un taureau en bonne forme massacrerait un matador même excellent. Vous voyez, on n'en sort pas, le taureau doit mourir.

Mais quand l'on sent la passion qui transparaît dans l'écriture tellement neutre d'Hemingway, on se demande s'il n'y a pas plus. Je me demande s'il s'agit simplement de la passion pour tous les aspects de la tauromachie, même les plus réalistes ou les plus violents, ou s'il y a une sorte de sadisme sous-jacent, une jouissance de la souffrance et de la domination ? J'ai peine à croire que des millions d'Espagnols aient été des sadiques. Hemingway m'inviterait à assister à quelques corridas pour essayer de comprendre. Je déclinerais. Il me traiterait sans doute de mauviette. Je lui dirais que le truc avec la cape, ca marche peut-être avec les taureaux, mais très peu pour moi. Hasta la vista, caballero !
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