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Critique de Nat_85


Roman épistolaire d'une tendresse infinie ! Florence Herrlemann réinvente la correspondance avec talent, charmant son lecteur en alternant douceur et humanisme. Un roman qui réconcilie les générations, les voisins, et déleste du poids de la culpabilité. » L'appartement du dessous « est publié en cette rentrée littéraire 2019 aux éditions Albin Michel.
Au coeur du quartier du Marais à Paris, Hectorine est la doyenne de son immeuble. À l'âge de cent trois ans elle est une figure incontestable de ce lieu où se côtoient de discrets mais néanmoins truculents résidents.
p. 62 : » Décidément cet immeuble est le terreau de singulières péripéties et de cocasseries en tout genre. «
Depuis près d'un demi-siècle qu'elle occupe son appartement, il faut dire qu'elle en a vu passer ! Mais elle conserve cette même ferveur à offrir l'accueil le plus chaleureux possible à ses nouveaux arrivants.
C'est ainsi qu'en découvrant l'emménagement de cette jeune femme dans l'appartement du dessus, Hectorine décide de lui écrire quelques mots de bienvenue, en ce dimanche ensoleillé du 17 avril.
En effet, Sarah vient d'hériter de cet appartement de son arrière-grand-mère Lene. Malheureusement la missive de la vieille femme reste sans réponse. Un brin contrariée par cette déconvenue et par une nuit écourtée par la pendaison de crémaillère de sa nouvelle voisine, Hectorine se lâche dans une nouvelle lettre, dans un monologue décapant !
p. 19 : » Il faut voir comme on nous parle, et encore, si tant est qu'on veuille bien s'adresser à nous. Comme on nous traite ! de quelle manière on nous considère ! Plus exactement, comment on nous dénigre ! Nous les vieux, les inutiles, les ruines, les vains, les finis, les usés, les démodés, les poussiéreux, les oisifs et pleure-misère. Nous, pleure-misère ? Pour la majorité d'entre nous, nous avons tout juste de quoi subsister en attendant notre fin prochaine. Nous les périmés, nous agrippant pitoyables que nous sommes, à nos idées réactionnaires. Nous les vioques, les croulants décrépits, les fossiles délabrés, les usagés obsolètes. À vos yeux nous sommes pénibles et encombrants, râleurs, radoteurs, menteurs, orgueilleux, hâbleurs, nous octroyant des médailles, pleurnicheurs inconsolables, plaintifs, suintants et dégoulinants , semeurs sans complexe de puanteurs nauséabondes annonciatrices de mort imminente. Car, comble de tout, nous avons l'outrecuidance de vous jeter en pleine figure et de vous rabâcher, en espérant bien vous le mettre dans la tête, qu'un jour, vous aussi les jeunes, vous aussi vous serez vieux, ridés, malades, accablés, seuls, abandonnés et malheureux. Que vous aussi, vous y passerez ! «
Cette fois, la réponse tombe. Sèche et distante, Sarah expédie de manière définitive, l'espère-t-elle en tout cas, cette vieille femme envahissante, dont la correspondance semble être son unique occupation journalière !
p. 31 : » Je voulais aussi vous dire que je travaille beaucoup et n'ai vraiment pas de temps à consacrer à l'écriture. de plus, je ne suis pas très à l'aise avec ce mode de communication. «
Hectorine ne se laisse pas démonter pour si peu. Attentionnée, elle joint même à ses courriers de petites mais sincères marques d'affection. Mais Sarah n'en semble pas touchée pour autant, et feint l'indifférence. Tenace, Hectorine se laisse aller à la confidence. D'origine berlinoise, elle relate des bribes de son enfance, au rythme de ce que son âge lui permet d'écrire.
p. 36 : » C'est à onze ans que j'ai été frappée de plein fouet par l'aride réalité de notre monde, de ce que les hommes en font. C'est à onze ans que la joie de vivre m'a quittée. «
Ainsi, une correspondance régulière se met en place, au gré des confidences. Mais Sarah reste perplexe sur les raisons de ces échanges…
p. 67 : » Vous avez sûrement vécu des choses incroyables et je comprends votre besoin de les raconter. Mais le mieux, je pense, serait que vous écriviez vos mémoires. «
Dorénavant bienveillante plus qu'agacée, Sarah s'attache à Hectorine et à son histoire, et n'hésite pas à lui proposer quelques services. Seulement la vieille dame semble vouloir conserver un certain mystère, notamment sur le fait qu'elle évite soigneusement toute rencontre.
p. 114 : » Laissez-moi le temps, j'ai besoin de ce temps. Vous saurez. Je vous en fais la promesse. Pourquoi insistez-vous pour que nous nous rencontrions ? «
Les confidences se font plus intimes. La complicité naissante n'en devient que plus touchante. Après tout, n'y a-t-il pas une part de lâcheté, ou du moins de facilité, à se confier à l'anonymat d'une interlocutrice ?
Quoiqu'il en soit, ces deux femmes que l'âge éloigne semblent cependant se découvrir des passions communes, malgré des chemins de vie bien différents…
p. 55 : » La littérature a toujours fait partie de ma vie. Elle m'a permis de croire encore en l'humanité, lorsque ce mot n'était devenu pour moi qu'une idée dénuée de sens, une coque vide. Elle m'a indiquée le chemin, m'a aidée à distinguer ce qui a du prix de ce qui n'en a pas. Elle m'a donné la force de continuer à garder la tête haute, à sourire, à ressentir, à rêver. Elle m'a appris à supporter la douleur, le froid, à contenir ma colère, à adoucir mes peines, à grandir, à aimer et aimer encore. Elle m'a sauvé la vie. «
Sarah, quant à elle, travaille pour une petite maison d'édition, en qualité de graphiste et illustratrice.
C'est dans une innommable confession et une délicate pudeur qu'Hectorine retrace sa jeunesse, entre le Cabour de la Recherche, le Berlin du IIIè Reich et le Paris d'après-guerre, faite de brefs instants de bonheur absolu, dans une tragique période de l'Histoire.
p. 107 : » Nous avions franchi une autre dimension. L'humain s'avérait parfaitement inhumain, nous étions réduites à l'état de bêtes par des hommes et des femmes rendus totalement insensibles à nos souffrances : le mal devenait banal, comme l'explique très bien Hannah Arendt. Nous allions vivre un cauchemar sans issue, chaque jour recommencé. C'est à cette époque que je sus ce qu'était véritablement la peur. «
Sarah prend soudain conscience de son attachement à cette femme. Les « Ma chère Hectorine » ont succédé aux « Bonjour Madame » des premières lettres.
p. 139 : » Il y a vous, vous et vos lettres. Elles me dévastent. Comment vais-je pouvoir vous raconter que je vis comme un séisme, à vous, vous qui avez subi des choses tellement… tellement, que les mots manquent aux émotions qu'elles suscitent ? «
Un lien invisible unit ses deux femmes. Une fois la confiance acquise, Hectorine va révéler son terrible secret. Une promesse qu'elle se doit d'honorer pour soulager sa conscience, au risque de perdre cette amitié récente mais scellée par cette correspondance.
p. 230 : » Je vous l'ai promise, je tiens toujours mes promesses. Je sais combien l'ignorance des choses peut être bien plus douce que la vérité. D'avance pardon pour les émois que ces confessions vous causeront. Pardon pour la peine, la déception, mais aussi pour tous les mensonges du début. Il fallait que je m'assure que vous étiez bien l'arrière-petite-fille de Lene. «
Comment susciter l'intérêt du lecteur de la génération de l'immédiateté et des interfaces numériques à ce roman insolite, exclusivement constitué de correspondances ? C'est là que réside toute la virtuosité de Florence Herrlemann.
Le concept, la construction narrative, le développement de l'intrigue… et l'écriture, tout est réuni pour happer le lecteur dans cette histoire ! Mais la réussite incontestable se joue à travers ses deux personnages féminins, incroyablement attachants. Je me suis délectée de chaque page, de chaque lettre, redoutant cette révélation qui me fera clore ce livre et quitter ces deux personnages, avec un réel déchirement.
Lien : https://missbook85.wordpress..
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