AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de LoupAlunettes


: "- Nous offrirons un spectacle autrement plus passionnant que celui d'indigènes présentant benoîtement leur artisanat, poursuivit Seguin. Des Canaques! Des Canaques assoiffés de sang!...
- Des Canaques assoiffés de sang? Tu sembles oublier un détail. le Maréchal Lyautey l'a dit lui-même, " aucune monstruosité indigène indigne de la République" ne sera tolérée dans l'enceinte de l'Exposi...
D'un geste de la main, Seguin coupa la parole de son ami..."

Un préambule du roman nous préviendra nous aussi: la France dans ses faits réels reviendra sur ses excès et ses dérives en 1931. Il y avait du triste vécu.
Plus de zoos humains indignes. C'était aussi à dire que, bien que certains indigènes colonisés restaient parqués dans des zones alloués suivant les colonies, ils étaient devenus une part de la France, des frères "étranges" mais des frères quand même.

Dans la fiction, une Exposition coloniale viendra célébrer l'esprit de découverte à la française plus que celui de conquête, avec des pavillons et des hommes d'ailleurs, qui viendront vanter eux-mêmes la culture, insulaire ou d'un autre continent et l'artisanat indigènes en territoires français outre mer.

Les deux personnages de l'extrait ne seront pas persuadés que c'est ce que le public attendra, s'associer à un art tribal, à des traditions qu'on ne connait pas encore, en faire sien, les faire entrer dans les foyers. Et leur idée sera de faire beaucoup d'argent et rapidement pour la Fédération française des Anciens Coloniaux dont ils faisaient partis.
Donc, direction le Jardin d'acclimatation de Paris, en marge de la grande Exposition, là où il sera plus compliqué pour les autorités de pouvoir mettre le hola.
Et place au spectacle!

C'est l'histoire fictive d'un groupe de "Kanaks" invités pour l'occasion et dupé.

L'intrigue se tissera sur un fil tendu, sur une tentation: malgré les avertissements de l'État clairement envoyés aux organisateurs, le public se laissera t-il aller à alimenter du spectacle illégal, indigne?

Cèdera t-il à ses penchants pervers de curiosité qui le firent tomber auparavant bien bas, considérant parfois d'autres communautés d'hommes comme des animaux?

Qui s'en soucie? La fédération leur promettra du frisson près d'une fosse de crocodiles, avec la mise en scène d'un peuple promû au rang de cannibales.

Les personnages de la Fédération Française des Anciens Coloniaux de la fiction viendront répondre à la question: l'âme d'un homme a t-il un prix? C'est une intérrogation aussi valable pour le groupe de Kanaks que pour le public qui paiera pour venir les voir comme avant.
Le temps aura passé, Paris aura t-elle envie de s'amuser selon les termes de la Fédération du roman?
Nous suivrons l'aventure par le biais d'Edou, un jeune de Nouvelle Calédonie, qui verra une opportunité dans ce recrutement ( dont il ne fera pas parti), pour "voir du pays", la France, c'est loin.
Il prendra donc la place de son ami Henri et racontera.
Nous verrons comment les attentes des canaques et celles des organisateurs se rencontreront, tandis que sur tout le trajet vers la France, on tentera de les installer dans leur rôle de faux "sauvages", vêtus de pagnes et de grigri. Soit de confession catholique ou protestante, un minimum instruit, le groupe progressera dans l'incompréhension.
Piégé sur des contrats de travail de deux ans mais avec un salaire négocié, nous nous demanderons avant de dépasser la moitié du roman si les personnages seront traités en esclaves rémunérés ou si les organisateurs compteront sur la négociation pour ne pas perdre d'argent et que "le spectacle continue"?

On aime le ton qui ne forcera pas le trait de l'ignominie et nous replacera dans des échanges naturellement fourbes mais tristement humains qui nous parleront.
L'État sur de nouvelles bases en appellera à l'empathie, à l'ouverture culturelle et d'autres se soucieront surtout de comprendre comment rendre tout ceci utile pour se faire beaucoup d'argent plutôt que cette ouverture culturelle leur en coûte. Sinon à quoi bon?
L'après-colonisation laissera peut-être un goût amer sur lequel les organisateurs compteront surfer.
Les lecteurs n'auront qu'une hâte, c'est de constater si le groupe choisira la soumission, le compromis ou la "grève" du travail?
On aime bien les histoires basées sur des faits véridiques d'Annelise Heurtier, ils font réfléchir avec tact.

Commenter  J’apprécie          20



Ont apprécié cette critique (2)voir plus




{* *}