AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Patsales


Au bout de quelques pages, j'ai pensé arrêter : le narrateur, à peine expulsé du ventre de sa mère, est sodomisé par son beau-père, la parturiente ayant décliné les avances pressantes de son compagnon.
Oui mais bon, me suis-je demandé à moi-même, tu t'attendais à quoi? Pourquoi ouvrir un livre dont le titre comporte le mot honni de "nazi" si c'est pour jouer l'effarouchée à la première atrocité? Les nazis ont tué six millions de Juifs, tu le sais, alors pourquoi lire un énième roman sur la Shoah? Par besoin de consolation? Pour recevoir de la Sainte Littérature ta dose quotidienne d'art lénifiant, la solution finale c'est mal mais d'abord c'est fini ensuite le monde est rempli de fleurs et d"histoires pleines d'espérance pour voir le bon côté des choses?
Bref, j'ai poursuivi ma lecture en songeant que mon écoeurement naissait non seulement de l'horreur mais de ce qu'elle pouvait préfigurer comme culture de l'excuse: le narrateur est peut-être un monstre mais comment ne pas devenir nazi quand on a été soi-même une victime?
Alors, s'il est vrai que tenter de comprendre l'origine du mal est une de mes obsessions de lectrice, j'ai passé l'âge de m'intéresser à la pédagogie noire, aux théories de Alice Miller et aux souffrances de Rudolf Hoss, le génocidaire mal aimé par son pôpa dans "La Mort est mon métier".
Justement, ça tombait bien, parce que la suite me prouva que le propos de Hilsenrath n'était absolument pas celui-là. Max Schulz a tué environ 10 000 Juifs, selon ses propres estimations, moins parce que les sévices reçus dans sa petite enfance l'auraient rendu psychopathe, que par conformité. Tel le Zelig de Woody Allen, Schulz se veut insignifiant parmi les insignifiants, mais uniquement ceux du genre vainqueur: nazi des années 30 à 1945, il devient juif quand il comprend que ce sont eux qui ont gagné la guerre puisque le monde entier est prêt à tout pour faire oublier son antisémitisme.
D'ailleurs, Schulz peut d'autant plus facilement devenir Finkelstein qu'il a tous les traits d'une caricature: lèvres molles, nez crochu, yeux protubérants, tel une quintessence du Juif fantasmé comme il n'en a jamais existé aucun. Et que fait un Juif majuscule après 1945? Il participe, bien sûr, à la création de l'Etat d'Israël.
Et c'est là que j'ai vraiment un problème avec ce livre: qu'est-ce qu'il fait qu'il tient debout? Ou, plus exactement, est-ce qu'il tient debout tout seul? Puis-je véritablement le lire sans rien savoir de son auteur? Si Hilsenrath n'était pas un Juif allemand échappé par miracle des ghettos ukrainiens, pourrais-je lire son livre comme la dénonciation d'un autre antisémitisme qui consiste à faire du Juif le parangon de la noble victime? Puis-je m'intéresser à une histoire qui raconte comment Israël existe grâce au génocide (sinon aux génocidaires) parce que cette histoire raconte à la fois la Shoah et l'épouvantable avantage qui en a résulté? Ou c'est uniquement parce que je sais qui est Hilsenrath que je peux la lire au lieu de porter plainte pour antisémitisme aggravé ?
Ben là, je cale. Je ne parviens pas à savoir ce que je pense de ce roman sans me référer à son auteur. Serais-je capable d'en goûter l'ambiguïté (l'ambiguïté, c'est quand même ce qu'on attend d'abord de la littérature, non?) ? Ou cette ambiguïté n'existe-t-elle que par l'identité de l'auteur alors que le livre, limité à lui-même, ne développerait qu'une thèse insupportable?
Bon, vous avez 4 heures. Pendant ce temps, je vais relire "Les Bienveillantes".
(Euh, non, en fait)
Commenter  J’apprécie          4417



Ont apprécié cette critique (44)voir plus




{* *}