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Critique de Nastasia-B


Nous y voilà. Cela fait un petit moment que je médite une petite critique sur ce monument culturel. Car effectivement, on se sent petite face à un tel monument, face à tout ce qu'il représente et surtout, face à la tâche très complexe de le bien comprendre et de l'interpréter.

Il me faut, de suite, concéder que j'ai renoncé à l'espoir de parvenir à le bien comprendre un jour. Je ne puis que me risquer à hasarder des interprétations. Mais avant de vous infliger une quelconque interprétation, permettez-moi d'abord de débroussailler quelque peu ce qu'est ce livre et son contexte.

Pour beaucoup de gens, lorsque j'interroge autour de moi (Car, là encore je le confesse, il m'arrive de questionner candidement certaines personnes en leur laissant entendre que j'ignore tout du sujet ou de prêcher le faux afin de savoir, peut-être pas le vrai, mais du moins, avoir accès à certains points de vue.), lorsque j'interroge, donc, on me répond souvent, pour faire simple, que l'Iliade, c'est le récit de la Guerre de Troie et que l'Odyssée, c'est le récit du retour mouvementé d'Ulysse après moult péripéties auprès de sa chère et tendre Pénélope.

Certes, il doit y avoir un peu de ça, mais je tiens tout de suite à vous retirer cette croyance du crâne car en fait, l'Iliade et l'Odyssée sont deux tronçons, et deux tronçons seulement, d'un récit mythique BEAUCOUP plus vaste qu'on désigne communément sous le nom de cycle Troyen.

J'en veux pour preuve que deux des éléments les plus croustillants de la fameuse Guerre de Troie ne sont pas abordés dans l'Iliade, à savoir, la mort d'Achille (et son fameux talon) et l'épisode encore plus fameux du Cheval de Troie. N'espérez donc pas les lire ni dans l'Iliade, ni dans l'Odyssée.

La mort d'Achille était racontée dans un livre intitulé L'Éthiopide et qui est, pour l'essentiel, perdu. L'épisode du Cheval de Troie et la ruse légendaire d'Ulysse pour s'introduire auprès d'Hélène étaient eux racontés dans un autre livre communément intitulé, La Petite Iliade, lui aussi, pour l'essentiel, perdu. D'autres détails à propos du Cheval de Troie, du rapt de Cassandre par Ajax (le petit) et du sort réservé à la famille d'Hector étaient eux présentés dans le Sac de Troie, récit désormais perdu.

Ce n'est qu'alors qu'est abordé l'épineux problème du retour des héros grecs de cette guerre. Leur sort varie grandement et est conté dans Les Retours, lui aussi perdu. Par exemple, Néoptolème, Diomède ou Nestor rentrent sans encombre. Mais il n'en va pas de même pour Agamemnon, Ménélas ou Ulysse.

Et ce n'est qu'alors que le destin d'Ulysse est longuement raconté dans l'Odyssée. (Au passage, je rappelle que le nom grec d'Ulysse est Odousseus et le titre ne spécifie pas, en soi, qu'il s'agit d'un quelconque voyage, mais qu'il y est simplement question du sort d'Ulysse.) de même, il y avait une suite à l'Odyssée, qui s'intitulait La Télégonie.

En outre, je ne vous ai parlé que de ce qui suit l'Iliade, mais vous vous doutez qu'il y avait également bon nombre d'événements préalables puisque le texte qui nous occupe aujourd'hui ne débute qu'à l'issue de neuf années de guerre entre Grecs et Troyens, au moment précis où Achille envoie paître Agamemnon pour lui avoir soutiré le butin qui lui revenait de droit, après une énième conquête héroïque.

Sans vouloir excessivement rentrer dans les détails, peut-être connaissez-vous ce tableau célèbre de Rubens qui s'intitule le Jugement de Pâris. Il s'agit, en fait de l'élément déclencheur de tout ce pataquès, lui aussi, un livre perdu, intitulé les Chants Cypriens. Trois déesses de l'Olympe se crêpaient le chignon afin de savoir laquelle d'elles trois était définitivement la plus belle : Héra (femme et soeur de Zeus), Athéna (fille de Zeus) et Aphrodite (née de la mer). Afin de trancher cette douloureuse question, papa Zeus envoie les trois commères sur le mont Ida afin que le Troyen Pâris (qui doit avoir un avis autorisé sur la question) tranche le débat.

(Sachez seulement que la prise de bec entre les trois déesses était le fait d'Éris, déesse de la discorde, qui, très amère de n'avoir point été conviée aux noces de Pélée , le père d'Achille, envoya lors du banquet une pomme — dite plus tard, pomme de discorde — où il était inscrit " pour la plus belle ". Ceci pouvant expliquer cela.)

Pâris, qui aimerait bien qu'on lui aménage le coup avec Hélène, femme du Grec Ménélas, s'arrange avec Aphrodite en échange de l'amour d'Hélène. Sans sourciller, il désigne donc Aphrodite Miss Olympe, ce qui a le don de mettre en pétard Héra et Athéna, qui n'auront alors de cesse que de s'en prendre à Troie et qui tout pendant l'Iliade (Ilion est l'autre nom de la ville de Troie) vont soutenir les guerriers grecs et les exhorter à raser cette ville infâme capable de produire un individu susceptible de prétendre qu'elles n'étaient pas les plus belles.

Si bien que l'Iliade d'Homère ne conte finalement qu'un mince passage de toute cette rixe, situé entre le moment où les Grecs perdent leur meilleur champion, Achille, qui se retire du jeu pour cause de bouderie et le moment des funérailles d'Hector, frère de Pâris.

Pendant tout ce temps-là, Hector, un brave parmi les braves, soutenu par Apollon et Zeus en personne, va s'amuser à tailler du Grec en veux-tu en voilà, jusqu'au moment où Patrocle, le meilleur copain d'Achille va aller se mesurer à lui, perdre son combat et, du même coup, redonner à Achille l'envie de se battre à nouveau et d'inverser la vapeur.

Il faut encore sans doute dire un mot ou deux d'Homère même. On ne connaît à peu près rien de solide sur lui et il y a fort à parier que sous cette appellation se cachent en réalité plusieurs auteurs ayant remanié et amélioré le texte sur plusieurs décennies, voire, plusieurs siècles.

Voilà, tout ceci étant dit, ayant fait un très grossier résumé du contexte et des événements dont il était question, il reste le plus gros du travail, à savoir, tâcher d'interpréter ce texte. On sait d'une part qu'il s'agit de la mise par écrit de formes orales (probablement plusieurs formes orales concurrentes) préexistantes depuis sans doute des siècles. En ce sens, l'Iliade (d'ailleurs le cycle troyen dans son entier) est un récit mythique.

Qu'est-ce qu'un récit mythique ? C'est déjà une question difficile en soi et je vous renvoie à l'excellente description qu'en fait Jean-Claude Carrière, notamment sur le lien suivant :

http://www.dailymotion.com/video/xwzdh0_mythes-et-transmissions-1-3_webcam

Ainsi, dans un récit mythique, on nous dit d'où l'on vient, qui sont nos ancêtres, ce qu'ils ont fait pour accéder à l'indépendance et/ou au pouvoir en tant que peuple par rapport aux autres peuples ou bien comment ils se sont établis à tel ou tel endroit.

On y apprend aussi énormément de normes comportementales, c'est-à-dire du comment se comportaient ces devanciers héroïques et donc comment vous devez vous-mêmes vous comporter pour obtenir les mêmes succès et pérenniser votre peuple.

J'ai déjà dit ailleurs qu'à cet égard, l'Iliade est particulièrement intéressante car on y lit expressément que les dieux ne sont pas d'accord entre eux, de même que les héros (Achille et Agamemnon par exemple), ce qui est la marque d'un système social plutôt tolérant et égalitaire (toutes proportions gardées, bien évidemment, et ce en comparaison d'un système hiérarchique très fort et non contestable).

On y lit aussi que les dieux sont très partiaux, et qu'ils n'hésitent pas à tricher pour favoriser leur poulain au détriment d'un adversaire pourtant digne et aux qualités avérées. On y lit également qu'il s'agit d'une société très compétitive, au sens où l'on fait des compétitions pour tout et n'importe quoi, même sur le cadavre des défunts. C'est par exemple le cas au Chant XXIII lorsqu'Achille organise une sorte de proto-jeux olympiques pour savoir à qui il va distribuer du butin en remerciement de la participation aux funérailles de Patrocle. (Étonnante célébration du deuil, vous ne trouvez pas ?)

Il y aurait encore bon nombre de conjectures que l'on pourrait faire à propos de ce texte qui revêt à mes yeux un intérêt bien plus ethnologique que littéraire ou religieux, mais j'ai peur de m'étaler trop en longueur, au vu de la taille déjà indigeste de cette contribution.

Je vais donc privilégier seulement deux points dans mes interprétations : 1) pourquoi l'Iliade et l'Odyssée ? 2) quid d'Ajax ?

1) Pourquoi l'Iliade et l'Odyssée ?
Eh oui, a priori, pourquoi ces deux fragments sont-ils demeurés et ont toujours été célébrés avec beaucoup d'égards, notamment par la société grecque ultérieure et pas les autres morceaux de l'épopée ? On peut évidemment invoquer le rôle du hasard dans la perte de certains textes, et ce n'est pas à exclure. On peut également invoquer la qualité littéraire et poétique de ces deux textes par rapport aux autres morceaux du cycle troyen, même s'il est difficile d'en juger à présent que les autres textes sont perdus.

Mais on peut aussi invoquer d'autres facteurs, comme la validité de ces deux morceaux en qualité de récit mythique. L'Iliade raconte, en gros, l'histoire de l'union, de la réunion des cités-états du sud de ce que l'on nomme aujourd'hui la Grèce et qu'étant unies, ces cités-états, et le même peuple qu'elles constitue, régulièrement désigné par Homère comme étant les Achéens, c'est-à-dire un peuple issu et venu du continent européen, les Achéens, donc, qui ont mis la pâtée aux Troyens, c'est-à-dire une coalition majoritairement anatolienne (à l'exception de la Thrace).

À l'époque d'Homère et de ses devanciers, l'essentiel de ce qui se faisait de mieux en matière de civilisation provenait du Croissant Fertile, donc de l'est. L'ouest résonnait comme le territoire des bêtes sauvages à peine humaines. Dire qu'un peuple issu d'Europe puisse venir mettre en déroute sur leurs terres des asiatiques pouvait être un élément fédérateur puissant. (C'est d'ailleurs comme cela que Virgile le comprend car il désigne Agamemnon comme " le vainqueur de l'Asie " au livre XI de son Énéide.) Au demeurant, on sait que l'Iliade est plus ou moins contemporaine où suit de peu l'implantation définitive des Grecs sur les côtes de l'actuelle Turquie.

Et, plus particulièrement, si l'on se place dans le contexte des Guerres Médiques du début du Vème siècle avant J.-C. (entre autres, batailles de Marathon, Thermopyles et Salamine) qui opposaient la grande Asie de Darius et Xerxès aux cités grecques unifiées autour d'Athènes, on comprend de suite mieux que les auteurs du siècle de Périclès aient fait grand cas du récit mythique de l'Illiade, se soldant par une victoire des Grecs après dix années de combat. Tiens, tiens… ça me rappelle quelque chose…

De même, l'Odyssée est sans doute beaucoup plus porteuse de sens si l'on la met en parallèle avec le fait que les Grecs installent des comptoirs un peu partout en Méditerranée à cette époque. le héros grec malicieux qu'est Ulysse et qui vient à bout de toutes les bizarreries et étrangetés de ces mondes inconnus incarne alors à merveille le succès d'implantation des Grecs " à l'outre-mer ".

2) Il y a un personnage troublant dans l'Iliade qui est Ajax. Qui est Ajax et que symbolise-t-il ? Ajax ou les Ajax ? Homère s'ingénie à nous présenter les Ajax (l'un grand, l'autre petit, l'un fils de Télamon, l'autre fils d'Oïlée, ces deux géniteurs faisant partie des Argonautes). Deux personnages avec un même nom, très fréquemment agissant de concert. Qu'en penser ?

En ce qui me concerne, j'ai l'intime conviction que les Ajax sont un dédoublement (pour les besoins d'édification) d'un seul et même personnage. Un personnage doué d'une force surhumaine, qui ne connaît pas la peur, un combattant hors pair comme seul Achille peut souffrir la comparaison. Et pourtant, un personnage étonnamment peu célébré. Jamais il ne reçoit le secours des dieux alors que c'est pourtant lui qui tient la baraque quand Achille boude dans son coin. C'est lui qui ne fait pas grise mine d'être tiré au sort pour avoir le redoutable privilège de rencontrer Hector en combat singulier et c'est même lui qui a l'avantage dans ce combat avant son interruption.

En fait, Homère prend bien soin de retirer tout honneur (comme une victoire sur Hector) ou toute récompense prestigieuse (lors des mini-jeux olympiques d'Achille) aux deux Ajax. On sait que l'un (le fils de Télamon) fera tout un foin lorsqu'il apprendra qu'on ne lui remet pas les armes d'Achille lorsque celui-ci sera tué, deviendra à moitié fou de rage et finira par se suicider. On sait que l'autre (le fils d'Oïlée) commettra un viol sur Cassandre (bon ça, la société antique était prête à le lui pardonner) mais, ce qui est plus grave, c'est qu'il l'a fait dans le temple consacré à Athéna, montrant ainsi son mépris pour les dieux et ça c'est grave.

Dit autrement, Ajax (ou les Ajax, comme vous voulez), représente l'archétype du mercenaire, du gars qui ne combat pas pour un idéal mais uniquement pour le bénéfice qu'il peut retirer du combat. Ses qualités physiques et de combattant sont indéniables, mais ce sont ses motivations qui semblent être clairement fustigées dans ce récit mythique, comme l'atteste la chute finale, la tête en plein dans une bouse de vache, sous l'impulsion d'Athéna, alors même qu'à la régulière il avait devancé Ulysse à la course.

Il est grand temps pour moi de clore ce chapitre des interprétations et de vous inviter à y réfléchir par vous même si le coeur vous en dit, car ceci n'est qu'un misérable avis, c'est-à-dire, vraiment pas grand-chose.
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