AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de glegat


La quatrième de couverture peut laisser croire au lecteur qu'il s'agit d'un roman, d'une sorte de polar qui se déroule dans le milieu du livre, le récit de la traque d'un escroc. Cette ambiguité peut fausser légèrement l'idée que l'acheteur se fait du contenu de cet ouvrage. C'est ce qui peut expliquer les différentes appréciations laissées par les nombreux lecteurs de ce livre, certaines sont dithyrambiques d'autres carrément négatives. Pour apprécier cette histoire il faut d'abord être intéressé par tout ce qui touche de près ou de loin les livres et les bibliothèques, c'est ce thème qui peut mettre au diapason tous les lecteurs et peu importe la forme du texte, roman, document, reportage, essai. Pour ma part je n'ai eu aucun mal à rentrer dedans et je ne me suis pas vraiment posé la question de savoir s'il s'agissait d'une histoire vraie ou romancée ou d'un reportage sur la thématique des voleurs de livres. J'y ai trouvé immédiatement des formulations qui font mouche et qui témoignent de la part de l'auteur d'un amour sincère des livres ou à tout le moins d'une bonne connaissance dans ce domaine : « J'associe toujours l'odeur à un vieux livre à l'époque à laquelle il a été écrit, comme si son parfum émanait directement du décor dans lequel se déroule l'histoire. » Page 13.

En fait cette histoire est l'écho des affrontements entre les bibliophiles et les escrocs au sein du monde des livres. L'auteure est aussi la narratrice, elle est l'un des personnages du livre qui participe à l'enquête. Elle décrit le milieu des librairies anciennes et leurs difficultés à faire face aux voleurs spécialisés dans les livres rares qui font preuve d'une grande habileté pour se constituer une belle collection. Les motivations de ces escrocs ne sont pas toujours basées sur l'appât du gain, il peut aussi s'agir d'authentique amoureux des livres. Mais pour certains d'entre eux cette passion peut être critiquable, car stérile dans la mesure ou le voleur n'est pas forcément un grand lecteur. Il y a dans cette histoire deux personnages principaux, Ken Sanders, le libraire expérimenté nommé par ses pairs responsable de la sécurité pour l'ensemble des libraires de son association, sorte de Sherlock Holmes spécialisé dans le crime livresque. Il est opposé à l'un des plus célèbres voleurs de livres des États-Unis, John Gilkey qui s'adjoint la complicité [volontaire ou non] de son père ou de relations éphémères pour commettre ses forfaits. Sa personnalité est ambiguë, il s'agit d'un homme d'environ 35 ans au début de l'histoire, il est poli, posé, rasé de près, vêtement passe-partout, souvent avec un coupe-vent et une casquette. Ses motivations ne sont pas très claires, ce qui est sûr c'est qu'il a une conception assez étrange de la justice et considère que ses activités sont une simple manière de rééquilibrer les choses par rapport aux "arnaques" pratiquées par certains libraires. Sa conception du bien et du mal est très personnelle et il ne se sent pas vraiment coupable considérant que ne pas rendre un livre emprunté à une bibliothèque est un vol, mais que son activité à lui qui consiste à payer avec des chèques sans provision des livres aux prix exorbitants n'est pas vraiment répréhensible. L'auteure le décrit par petites touches qui permettent de rendre compte de sa personnalité : « Il donnait l'impression d'être intelligent, mais prononçait parfois certains mots de la manière qu'ont les gens cultivés ayant grandi dans un milieu modeste ». Page 55

L'auteure, journaliste, à bien étudié le milieu du livre ancien et son livre est parsemé d'indications techniques, d'anecdotes et d'observations très intéressantes. On y apprend comment son évaluer les livres rares, mais aussi que le mot bibliomanie est un terme inventé par le révérend Thomas Frognall Dibdin en 1809, qu'un exemplaire du 1er tirage d'Harry Potter à l'école des sorciers [500 exemplaires en tout] vaut aujourd'hui 30 000 dollars, qu'Euripide avait un appétit insatiable de livres, que Cicéron épargnait ses moindres revenus pour agrandir sa collection, etc.

L'auteur essaye de comprendre d'où vient la passion de Gilkey, pourquoi il est prêt à mettre sa liberté en péril et pourquoi Sanders est aussi déterminé à lui mettre la main dessus. C'est peut-être cette partie de l'ouvrage qui laisse un peu le lecteur sur sa faim, la personnalité des protagonistes n'est pas assez approfondie à mon avis et on ne sait pas vraiment comment l'histoire s'est terminée même si l'auteure précise en fin d'ouvrage « qu'après avoir commis tous ses forfaits Gilkey se mit à étudier la philosophie et à faire des recherches sur de grands auteurs ; il écrivait même des essais et des pièces de théâtre. À travers tous ses efforts, il cherchait à se construire une personnalité idéalisée ». Page 242

J'ai beaucoup apprécié cet ouvrage qui se situe entre l'essai, le reportage, le roman, la biographie. Il comporte un grand nombre d'observations qui feront échos avec les propres impressions vécues des amateurs de livres :
« Nous aimons être environnés de livres pour les mêmes raisons qui nous font aller sur des lieux de mémoires [Auschwitz, Père Lachaine], ils nous relient à quelque chose qui nous dépasse, quelque chose de réel. »Page 212 « Seuls l'amour et la joie simple des livres devraient nous pousser à les acheter. Y penser en termes d'investissement les transforme en de simples gadgets, en marchandises. » Page 121 « L'un des grands plaisirs du collectionneur est de se souvenir de la manière dont chaque volume a atterri sur son étagère. » Page 136

Une petite bibliographie complète l'ouvrage, mais comme tous les documents cités sont en anglais je rajoute une référence en français qui est le témoignage de l'un des plus grands spécialistes français du livre : Albert Cim [1845-1924] « Amateurs et voleurs de livres », Ides et Calendes [1998], 146 pages.


— « L'homme qui aimait trop les livres », Allison Hoover Bartlett, Pocket [2020], 260 pages.
Commenter  J’apprécie          70



Ont apprécié cette critique (6)voir plus




{* *}