J'étais content de trouver pour 2 dollars un livre qui en valait une centaine, mais j'ai rapidement compris que je voulais plutôt collectionner des textes qui avaient eu une influence sur les gens, des livres controversés comme -1984- de George Orwell, des livres importants. (p. 141)
"Les livres ne sont pas des objets inertes mais portent en eux autant de vie que l'âme qui les a fait naître, en effet ils conservent, comme dans une fiole, la puissance et l'essence de l'intellect qui leur a donné le jour." Presque trois cents ans après lui , en 1900, Walt Whitman faisait écho à ce sentiment : " Camarade ! Ceci n'est pas un livre , / Qui touche ceci touche un homme." (p. 156)
Une collection comme la sienne est une quête personnelle. Mais lorsqu'il décidera de s'en séparer, comme c'est le cas de toute collection in fine, l'effort passé à l'assembler se montrera payant, car sa valeur dépassera celle des livres cumulés.
Plus je piochais dans mes piles de livres consacrés à des collectionneurs, plus je pensais au rôle que ces hommes (et quelques rares femmes) avaient joué pour préserver notre héritage culturel. Pour reprendre les mots de Wilmarth Sheldon Lewis, un collectionneur décédé en 1979. "Sains d'esprit ou fantasques. Ils sauvegardent la civilisation ". Ils me fascinaient tous. (p. 231)
Lors de mon dernier entretien avec Gilkey, j'eus une révélation. Je compris que celui dont je croyais qu'il volait des livres pour passer pour un gentleman, qui se construisait une image toute faite, une identité de façade, était en fait -véritablement- en train de devenir un gentleman. Il étudiait la philosophie, faisait des recherches sur de grands auteurs, lisait de la littérature, il écrivait même des essais et des pièces de théâtre. A travers tous ces efforts, il cherchait à se construire une personne idéalisée. Et l'autre manière de faire naître cette personnalité était de me raconter son histoire. (p. 291-292)
Après deux ans de discussions avec Gilkey, j'en avais vu la dorure, si je puis dire, et les rebords. Si je devais le résumer en une phrase, je dirais que c'est un homme pour qui posséder une vaste collection de livres anciens est un moyen d'exprimer sa personnalité : une fois cette collection rendue publique, les gens ne peuvent qu'apprécier le collectionneur. (p. 290)
Avant le salon, j'avais appris qu'il y avait probablement autant de définitions du terme "rare" qu'il y avait de libraires. (p. 32)
Tandis que je vagabondais de stand en stand, de livre en livre, je ressentis moi aussi cette attirance sensorielle ; le toucher des pages épaisses aux bords bruts de coupe, la beauté ciselée des polices de caractères, la tension des couvertures en lin ou en peau de cochon, l'odeur de parchemin.
On en apprend beaucoup sur une personne en regardant sa bibliothèque. L'attirance de Gilkey pour les livres de la liste de la Modern Library révèle son besoin d'être admiré. Il ne se fie pas à ses propres goûts, mais à ceux des connaisseurs. (p. 126)
Je commençais à comprendre que la différence entre celui qui aime les livres et celui qui va jusqu'à les collectionner n'est pas qu'une simple question de degré. Pour le premier, le livre est une sorte de souvenir : il y a ses livres d'enfance, ses livres de fac, ses romans préférés, ses choix incongrus. De nombreux réseaux sociaux nous proposent de lister nos lectures pour cette raison précise : les livres en disent long sur votre personnalité. Ce qui est particulièrement pour les collectionneurs, dont les étagères ne reflètent pas seulement les lectures, mais leur intériorité: "La possession est la relation la plus profonde que l'on puisse entretenir avec les choses : non qu'alors elles soient vivantes en lui [Le collectionneur ], c'est lui-même au contraire qui habite en elles" , écrit Walter Benjamin. (p. 86-87)