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Critique de PatriceG


Michel Houellebecq, né Thomas en 1956
H.P. Lovecraft (1890-1937) contre le monde, contre la vie
Additif : une espèce de nouvelle intitulée L'Oreiller de Lovecraft de Stephen king, c'est engageant !..

HP Lovecraft le phosphore

De Lovecraft, je n'ai pour moi qu'indigence culturelle, autant le dire tout de suite pour ne pas faire perdre de temps à personne. Mon vernis culturel, même s'il a tenu bon, remonte à mes jeunes années de lycéen, nous formions un trio d'intellectuels, de pseudo-intellectuel pour moi, pour les deux autres, il y avait un poète, un vrai poète, un pur, dont j'ai perdu la trace qui est allé enseigner, car la poésie ne nourrissait pas son homme et toujours je pense, un type un peu neurasthénique ; et puis le troisième larron et pas des moindres, puissamment matheux, pas comme moi, j'étais plutôt versé littérature. Celui-ci habitait à une portée de canon de chez moi, vieux canon ; à 18 ans, il fumait la pipe, perdait déjà ses cheveux, il avait de grandes mèches qui se rabattaient sur le front, ou en fait je ne sais pas trop s'il n'était pas né avec des cheveux qui partaient du milieu de son crâne. Ca lui foutait un peu de complexe, sa pipe aidait en contenance, mais son sillon semblait tracé, il serait intellectuel. A cet effet, sa passion c'était Bachelard et puis, et puis Lovecraft ; il nous en abreuvait tellement qu'on finissait par contagion par en savoir quelque chose . C'était un pote extrêmement chaleureux et communicatif, j'en ai perdu mais alors complètement la trace. Pour dire que ce Lovecraft devait assurément tenir la route, il bénéficiait d'une aura dans mon esprit plutôt extraordinaire. Mais ma foi la vie a fait que j'ai vaqué à autre chose.

Houellebecq, c'est autre chose, c'est un contemporain que j'ai lu dans le rétroviseur, ai entamé son oeuvre avec L'Extention.. une dizaine d'années après sa publication .. et puis tout le reste, je le considère comme le grand écrivain des années 2000 de résonnance mondiale qui vient combler en France une vacuité littéraire qui a sévi sur plus d'une génération..

Et puis pourquoi Houellebecq, je dois avoir à justifier vu que je me targue ici d'un bandeau à son effigie, au delà du symbole, de l'intérêt particulier que je lui porte.. Ce n'est pas le tout de faire le mariole !

Si l'on fait un peu d'archéologie dans l'oeuvre de Houellebecq on voit se nicher immanquablement en tête de sa bio ce Lovecraft contre tout.. qui semble un peu surréaliste. Puisqu'on s'accorde à dire que son oeuvre romancière débute avec Extention.. Cet écrit que je n'avais pas lu faisait figure à mes yeux de figuration ou de garnitude, mais au fur et à mesure que l'oeuvre de Houellebecq enfle en renommée, quand on est admiratif comme moi, on commence à faire les fonds de grenier ..

HPL contre le monde, contre la vie est le premier écrit commis par Houellebecq, hormis sa poésie. Il dit l'avoir entrepris dès 1988 pour le présenter en 1991 aux Editions le Rocher qui le publie désormais avec une préface de l'auteur qui date de 1998, plus une introduction de Stephen King que je conçois avec l'accord de MH. Autant dire que je vais escamoter ce texte dont je ne vois pas la plus-value. Mais il me semble que King n'a pas besoin de moi non plus comme limon minuscule pour nourrir son fleuve gigantesque dans le monde de l'édition du livre où il règne en maître absolu en matière d'horreur et de science-fiction. Franchement MH avait-il besoin de ce suppositoire supersonique pour se déconstiper ?? Avait-il besoin de cet apport pour nous signifier que son dessein littéraire se conjugue avec la science-fiction, comme il l'entendait ?

Houellebecq me fait penser au peintre Bonnard en quête de perfection qui allait parachever ses chefs d'oeuvre chez le client. Il a besoin de montrer à la fois qu'il existe, état qui comporte en soi des faiblesses et qu'il est en quête d'absolu qui semble lui succéder comme une traine de mariée qu'on aimerait bien voir dans la photo pour qu'elle paraisse entière.

Pourquoi HPL, on peut s'en étonner, Houellebecq s'est aperçu d'un écart entre ses lectures de jeunesse et l'homme qu'il fut qui se cachait derrière, faute d'éléments à l'époque : Il est vrai qu'on n'était pas outillé comme aujourd'hui pour aller explorer l'environnement des auteurs comblé depuis par un tas de machins. Autrement dit entre l'imaginaire hypnotique de HPL et le réel de sa vie pas très engageante, aussi ennuyeuse qu'un discours de Marine le Pen, cela a suffi pour inspirer notre ami dans ses balbutiements d'écrivain, quelque peu désarçonné, revenant sur ses illusions passées, maintenant néanmoins son attachement viscéral à l'auteur américain dont il se sent un peu l'héritier. Pourquoi pas ma foi !

Une vie très moche de HPL en y regardant de plus près conduisant sous sa plume à une poésie remarquable, voilà le propos de Houellebecq qui cite un fragment de Celui qui chuchotait dans les ténèbres :

"Il y avait d'ailleurs une beauté cosmique étrangement apaisante dans le paysage hypnotique où nous glissions et plongions fabuleusement. le temps s'était égaré dans les labyrinthes laissés en arrière, et ne s'étendaient autour de nous que les vagues en fleurs de la féérie et le charme retrouvé des siècles disparus -bosquets vénérables, fraîches prairies bordées de fleurs automnales aux couleurs éclatantes, et de loin en loin de fermes brunes nichées parmi des arbres énormes au pied d'à-pics verticaux couverts d'églantiers odorants et l'herbe des prés. le soleil même prenait un éclat prodigieux, comme si tout le pays baignait dans une atmosphère ou une exhalaison tout à fait exceptionnelles. Je n'avais jamais encore rien vu de pareil, sauf dans les perspectives magiques qui forment parfois l'arrière-plan des primitifs italiens. Sodoma ou Léonard ont conçu de ces étendues, mais seulement dans le lointain et à travers les cintres d'arcades Renaissance. Nous creusions notre chemin en chair et en os à l'intérieur du tableau, et il me semblait trouver dans sa nécromancie un savoir ou un héritage inné, que j'avais toujours cherché en vain ".

Stephen King nous dit que la littérature de HPL est le refuge du réel douloureux et décevant de sa vie. Pour MH c'est une dénonciation du réel carrément, le récit d'un suicide intellectuel dont il se servira plus tard dans ses romans : on voit donc que MH fait plus de concessions au réel que n'en fait HPL comme le dit Stephen King. Rien n'intéresse HPL dans le réel au point dira-t-il " à moins de comporter deux meurtres par page et de traiter d'horreurs innommables provenant d'espaces extérieurs. Nous avons besoin d'un antidote souverain contre toutes les formes du réalisme. " HPL est le méchant austère qui sombre dans une forme de schizophrénie dès lors qu'il est confronté au réel, il ne supporte l'humain sous aucune forme. Il valait mieux franchement lui donner le stylo et une feuille de papier.

Houellebecq n'en est pas là et voit bien le danger de la déconnection totale du monde dans lequel il vit, il a besoin de cet air pour certes l'accabler mais il en fait sa farce à toute page jusqu'à cultiver une forme de dérision jouissive.

En fait Houellebecq comprend les mécanismes de la création de Lovecraft, une forme à l'envers comme la révélation d'une photo en labo, absolument déjantée, du phosphore non dépourvu de poésie et de charme et c'est en cela qu'il y voit tout l'intérêt et même la performance chez Lovecraft. Serait-ce suffisant pour lui de s'en acquitter s'il veut arriver à la même tonalité d'un monde de vacuité à l'issue funeste que celui de l'anthropocentrisme ? Houellebecq navigue entre la science-fiction et un temps réel jamais écarté ..

Une parenthèse, ces deux auteurs ont pour eux en commun manifestement de se jouer des humains avec une faculté sublime. Bien sûr à des degrés divers commme je l'ai souligné. On aurait absolument tort de penser que ça fait d'eux des écrivains ennuyeux, alors que leurs vies respectives ici-bas auprès des humains sont désespérément misérables, un peu cultivée chez Houellebecq, mais à peine, guère plus enviables chez leurs semblables, à coup sûr chez Lovecraft que j'ai qualifié de phosphore.
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