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Critique de Levant


Avec Houellebecq appelons un chat un chat, surtout si on fait de préférence allusion à la femelle de l'espèce. Il est certain que si on lit Houellebecq au premier degré on restera au niveau de cette partie de son anatomie qui rime avec citrouille. C'est avec pareille écriture décomplexée, dépouillée de l'adverbe, proche de la langue parlée que Houellebecq a séduit son lectorat. Une écriture affranchie de toute censure, propre à libérer l'homme de la violence et la licence qui bouillonnent au tréfonds de son être. Avec Houellebecq, seul le bonheur est absent du tableau. Comme tabou. Le réalisme sombre dans la déréliction et clame à longueur de pages le malaise existentiel de son héros. Une lecture qui laisse un goût de cendre dans la bouche.

Avec lui, l'accouplement est le seul acte de la vie humaine qui détourne vraiment de l'obsession de la mort. Forcément, il est créateur de vie. Et pour ceux de l'espèce humaine qui en douterait la Nature y a fait correspondre le plaisir. Ces moments d'extase trop rares, trop courts, trop peu partagés, deviennent pour le coup l'unique objectif de l'existence humaine.

Oui mais voilà, l'individu n'est pas programmé pour l'éternité. Il reste subordonné à l'espèce qui seule survivra. Piètre consolation. Le dépérissement du corps va jusqu'à le priver de ses fugaces instants de grâce, ses seuls instants d'éternité. Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable a pu écrire Romain Gary qui a bien exploré le sujet, comme tant d'autres. C'est le drame du vieillissement. Le monde s'écroule quand la Nature prive le mâle de ses "matins triomphants" chers à Victor Hugo.

Mais au fait, elle, qu'en dit-elle ? Houellebecq ne s'en soucie que trop peu. "Celui qui aime quelqu'un pour sa beauté, l'aime-t-il ?" S'en culpabilise-t-il toutefois en catimini. Cet ouvrage est celui du décalage de l'amour et de la sexualité. Isabelle aime Daniel mais n'aime pas le sexe. Daniel aime Esther qui n'aime que le sexe. La possibilité d'une île est le roman de l'insondable solitude de l'Homme face à son destin. "On nait seul, on vit seul, on meurt seul".

A cette écriture désinhibée, Houellebecq allie une puissance conceptuelle exceptionnelle. Une imagination galopante, tout azimut, méprisante de la bienséance ringarde qui a essoufflé ses prédécesseurs dans l'art d'écrire. Quant à être visionnaire, on ne saurait dire tant le paysage est sombre. Mais peut-être a-t-on peur qu'il ait raison. Si dans un futur plus ou moins proche le clonage remplace l'accouplement pour reproduire l'individu, sûr que l'amour qui peinait déjà à s'imposer n'aura plus de raison d'être. Misère sexuelle, misère affective seraient-elles l'avenir de l'espèce. A moins que ce ne soit déjà le cas ?

Mais pourquoi ai-je donc lu Houellebecq, moi qui vis sereinement ma vie d'autruche, la tête dans le sable à n'oser affronter la triste réalité de ce monde ? Sans doute parce qu'une femme a eu la force de conviction séductrice de m'ouvrir les yeux sur la seconde lecture qu'elle avait faite de cet ouvrage. Celle qui rime avec toujours, et pas avec citrouille. Où avais-je donc la tête ?
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