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Critique de Glaneurdelivres


« L'humour tchèque est très particulier. C'est un peu ce qu'on dit de l'humour sous le gibet : plus on est désespéré, plus on fait de blagues, plus on tourne les situations en dérision. Je pense que ceux qui ne comprennent pas l'humour tchèque doivent attendre patiemment, réfléchir. On retrouve évidemment cet humour avec le brave soldat Chveïk de Hašek, et chez Bohumil Hrabal aussi.
Il y a toujours ce côté provocateur et profondément attendrissant, car cela vient en général d'un certain désespoir. [Citation d'Eva Houdová, réalisatrice belge
d'origine tchèque]

Ce livre de Bohumil Hrabal est atypique par sa forme.
C'est tout un monde aujourd'hui disparu qui y revit dans un véritable torrent de paroles !
Hrabal a expliqué dans quelles conditions avaient été écrits en 1949, les différents textes de ce livre.
Il avait quitté ses parents et sa petite ville de Nymburk en Bohème, pour aller s'installer à la Place de la Vieille-Ville à Prague, où il voulait goûter un peu à la solitude…
Mais son oncle Pépi venait lui rendre fréquemment visite et restait dormir chez lui !
Hrabal est agacé par son oncle, mais en même temps il le trouve touchant. Cet oncle est comme un grand enfant qui éprouve des difficultés à vivre dans une époque et une société, où il n'a plus ses repères. Cette époque révolue dont il est nostalgique, c'est celle de l'ancienne Autriche, du temps de l'Autriche-Hongrie et de la dynastie des Habsbourg, où il avait été soldat dans l'armée de l'Empereur, où régnait une discipline de fer.

Pépi est un sacré palabreur, qui adore qu'on l'écoute.
Il a l'art de capter son auditoire.
Il a beaucoup de charisme, et apparemment il était bel homme, et attirait les femmes, car on assiste à un enchainement d'anecdotes concernant ses très nombreuses rencontres amoureuses. Parfois il veut offrir des bouquets de fleurs à des dames qu'il a connues vingt ans auparavant, mais il ne se rend pas compte que les années ont passé !
Ses propos sont la plupart du temps fantaisistes, exagérés. Il est vantard, et inconscient de sa bêtise… Raconter ses souvenirs, ça, il adore, et il se met toujours en avant dans ses récits, et à force détails… tous ses souvenirs de jeunesse y passent !
Le flot de phrases ininterrompu de tous les récits de cet oncle, a plu à Bohumil Hrabal, qui a tapé tout cela sur sa vieille machine à écrire Erko, en sept parties, durant un long trimestre.
« C'était le palabreur numéro un, ma muse, un conteur hors pair, non seulement supérieur à moi, mais à tout ce que j'ai jamais entendu (‘') il avait en lui quelque chose des hassidim naïfs, des rabbins miraculeux, des conteurs populaires en qui tout est là, présent, juste comme ça. »

Bohumil Hrabal ne s'est pas soucié de chronologie pour écrire « Les souffrances du vieux Werther », car chaque petit récit de l'oncle partait aisément dans tous les sens ! Telle une branche d'arbre, un seul récit pouvait se ramifier en de multiples anecdotes sur un ton très enthousiaste !
Ces récits sont tellement imagés et foisonnants, qu'on imagine voir Hrabal en train de peindre à chaque fois un tableau en plusieurs pages.
Mais toutes ces pages, rédigées en 1949, vont dormir dans un tiroir jusqu'en 1963…

Après son deuxième livre, sa maison d'édition lui a demandé s'il n'avait rien pour elle, et c'est là qu'il les a ressortis !
Bohumil Hrabal connaissait alors les collages utilisés par le poète et plasticien tchèque, Jiří Kolář.
Il connaissait les techniques permettant de faire subir aux textes des chassés-croisés destinés à étonner les lecteurs. Il a remplacé des passages qu'il trouvait inintéressants par d'autres qu'il connaissait de son oncle. Et le poète Egon Bondy lui a apporté sa participation pour créer un mode rythmique dans le texte. A partir de ce moment-là, il a pu déposer le tout à son éditeur qui a accepté le texte ainsi réalisé.

Le résultat est un texte baroque, une sorte de monologue intérieur, pauvre en ponctuation et en syntaxe. C'est très rythmé. Hrabal a respecté la verve et le langage cru et parlé de son oncle, qui s'exprime largement dans un langage fleuri, avec des expressions populaires, et argotiques, un brin graveleuses aussi parfois !
Il a réussi à conserver toute l'authenticité des propos très imagés de l'oncle Pépi, qu'on devine aisément, gesticulant et faisant beaucoup de mimiques en racontant ses histoires !

Ces récits anecdotiques s'enchainent à vitesse grand V.
On en perd le souffle !
Les phrases s'emboitent les unes dans les autres comme une longue liste qui n'en finit jamais.
L'oncle Pépi est un véritable moulin à paroles !
Il conte une suite de malheurs survenus à un tas de personnes qu'il a connues dans son entourage, dont beaucoup de couples qui se déchirent… ce qui l'amène à des réflexions sur le mariage, sur l'infidélité et ses conséquences dramatiques, actes violents allant jusqu'aux meurtres … Est-ce sa façon à lui, de justifier qu'il ne veut pas du mariage pour lui-même ?

On s'immisce au fil de la lecture dans la vie quotidienne de l'époque avec ses us et coutumes, la bien-pensance, les excès des uns et des autres, excès de langage, de comportement, …
Pépi fait part de l'aversion qu'il éprouve envers les hommes d'Eglise… envers les nobles aussi…
Il dénonce également dans ses propos, l'ostracisme qu'il constate, envers les tziganes, les noirs, et il réclame une vraie démocratie. On a l'impression d'entendre l'oncle Pépi discuter au comptoir d'un bistrot, en mélangeant dans ses propos, la culture (avec des anecdotes sur Strauss, Mozart, Smetana, Dvořák), la politique, l'Histoire et ses hommes illustres (avec des anecdotes sur François-Joseph 1er, Charles 1er, Jan Hus, Havlíček, Edison, …) et les différents ragots dont il entend parler autour de lui…

Je pense qu'il convient de connaître un tant soit peu l'oeuvre de Bohumil Hrabal et particulièrement ses premiers textes comme ceux figurant dans « Ballades sanglantes et légendes » pour apprécier ce livre, à sa juste valeur.
Ce Pépi est un sacré personnage qui ne peut pas laisser indifférent, et on sent combien Bohumil Hrabal éprouvait de tendresse envers cet oncle !
J'ai envie de dire que « Les souffrances du vieux Werther » est une lecture atypico-comico-tonique, s'il en est !

Pour info, sur la 1re de couv. de ce livre, il est noté « Café Sperl ». Né en 1880, à Vienne, le café Sperl prend soin de conserver sa déco de l'époque de l'Autriche-Hongrie : banquettes de velours, boiseries, tables de billards, cuivres et moulures. Il est peut-être le plus typique de Vienne, et pour rester dans l'esprit du lieu, des lectures de grandes oeuvres littéraires s'y tiennent régulièrement.
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