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Critique de MaxSardane


En voilà un livre déroutant... et même dégoûtant, par moments. Mais qui comporte quelques idées très intéressantes. Enfin, c'est le premier livre de SF que je lis dont les hommes sont complètement absents ! Pas disparus, ni regrettés, ni détestés : non, ils n'existent tout simplement pas.

Dans ce roman, on suit deux personnages femelles qui n'ont d'humain que le fait d'avoir 2 bras et 2 jambes, des yeux et des sentiments. Et encore, on n'en est pas sûrs. En incipit, le livre est dédié par l'auteur « à toutes les femmes brutales » : c'est donc de cela qu'il s'agit, de femmes brutales qui s'affrontent sur des vaisseaux-mondes immenses et organiques flottant dans le néant de l'espace, dirigées par une « seigneure » qui les envoie au casse-pipe contre d'autres ruches ou au « recyclage » comme une reine des fourmis toute puissante. L'une de ces soldates se réveille, amnésique, à la suite d'une opération d'invasion qui a mal tourné (tout le monde est mort, sauf elle). On lui dit qu'elle va devoir repartir, sans se poser des questions, et tout faire pour revenir. On lui parle de « monde » à voler, d'enfant à naître, de vaisseau à soigner, de bras métallique, de trahison, d'amour... et surtout, d'une mystérieuse « Mokshi » qu'il faut à la fois conquérir et sauver. C'est le but de tous ces affrontements entre ruches : s'emparer de cette fameuse Mokshi.

Honnêtement, à ce stade, on ne comprend rien. C'est quoi la Mokshi, pourquoi est-ce si important, où se trouvent ces femmes si étranges, que sont-elles, à quoi ressemblent-elles vraiment ? Dans cet univers, tout est nouveau à première vue, et il faut accepter d'être aussi perdu que Zan, la générale amnésique. Au début, j'ai eu un peu de mal, je l'avoue. Où nous emmène-t-on ? Même les narratrices (une qui a perdu la mémoire, et l'autre qui veut tout nous dissimuler) n'ont pas les mots pour décrire ce qu'elles voient : des murs mous qui « pulsent », « d'étranges animaux qui servent de véhicule », des « tubes bizarres »... Mais, au fil des pages, on s'habitue à cet univers gluant et palpitant, et on comprend ce qu'il est. Les enjeux, et l'intérêt à suivre ces opérations sans cesse renouvelées, aussi, apparaissent. Car ce monde organique qui sert à la fois de nid, de maison, de ressource et de famille (au sens littéral...) est malade, et la survie de ces femmes dépend de la sienne. Les informations sont délivrées au compte-goutte, et parfois de manière erratique, mais à la fin, tout fait sens (je me suis amusée à relire le début après avoir terminé le roman, et ça m'a paru évident). Cela vaut le coup de s'accrocher, car une fois les choses bien en place (fin de la première partie), l'action démarre enfin et il devient difficile de lâcher. Toute la quête de Zan dans les entrailles du vaisseau Katazyrna est vraiment passionnante. Un peu dégueu, mais passionnante !

C'est un roman que je peux comparer à La porteuse de mort de Stark Holborn (ce qui me fait dire qu'il y a toute une vague de SF comme ça qui arrive, et c'est cool), à plus d'un titre : les secrets sur la protagoniste dont l'identité réelle n'est révélée qu'à la toute fin, le côté crade, gore et violent (ici, d'une manière viscérale), la volonté de mettre en scène des femmes fortes dans toute leur complexité (mères, guerrières, et amantes) qui luttent, s'affrontent, s'aiment et s'entraident sans les hommes (qui n'existent pas — ou plus — ici).

Enfin, ce roman m'a fait penser aux mangas de Tsutomu Nihei, pour le côté quête dans des mondes complètement déroutants sur des milliards de niveaux, par un personnage amnésique et post-humain (je peux pas pousser plus loin les comparaisons pour ne pas spoiler, mais la fin de ce livre ressemble beaucoup à celle de Blame !)

Mais comme ces deux oeuvres précitées, je pense que ce roman est tout sauf un livre consensuel, qui peut plaire à tout le monde. Pourtant, il n'est pas à proprement parler exigeant : pas de concept ou de terme compliqué, une écriture simple, accessible, directe, qui colle bien au style des personnages. Attention tout de même aux gens sensibles au body-horror ou allergiques aux histoires d'accouchement, de saignements et d'utérus, parce qu'il y en a pas mal... Je verrais bien cette histoire adaptée en BD. Ça pourrait donner quelque chose de vraiment impressionnant !

Si vous cherchez de la SF originale, qui ne ressemble à (presque) rien d'autre et qui bouscule un peu, et surtout un roman qui a vraiment dépassé le concept du space-opera pour papa, allez-y. Pour ma part, je vais regarder de près les autres romans de cette autrice ! À commencer par son essai The Geek Feminist Revolution, publié en 2016 (et non traduit).

Encore une fois, merci à Albin Michel Imaginaire de nous apporter ces romans-là, et merci pour ce SP déroutant !
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