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Critique de Apoapo


Qu'avons-nous compris, nous autres, Occidentaux, du chamanisme, au fil des siècles ? C'est la question à laquelle ambitionne de répondre cette anthologie rassemblée par deux illustres ethnologues. Sur une durée de cinq siècles, par des textes d'environ soixante auteurs tantôt très célèbres, tantôt inconnus ou bien oubliés, disposés quasiment en ordre chronologique et répartis dans une scansion rigoureuse et éclairante en sept parties, on peut parcourir en parallèle deux fils conducteurs : la compréhension, toujours plus fine, nuancée, complète et distinctive, du phénomène chamanique partout dans le monde, mais aussi l'histoire de nos moyens d'acquérir et de mettre en forme discursive une connaissance radicalement autre, longtemps impensable. Je ne saurais dire lequel de ces fils conducteurs m'a le plus intéressé, à moins que ce ne soit justement leur dialectique, dans la mesure où elle constitue un emblème de ce qu'une sémiologie particulière permet ou bien empêche d'atteindre comme quantité et qualité d'intelligence. En outre, si une familiarité préalable avec le chamanisme facilite assurément le repérage de certains thèmes-clefs qui émergent de ces textes – contrairement à d'autres qui sont passés sous silence, sans doute considérés comme moins représentatifs d'une époque ou moins probants de l'état d'esprit du chercheur ou de son époque – il faut avouer que cette connaissance n'est pas du tout indispensable : ni pour apprécier la démonstration, ni pour se faire une idée assez complète du chamanisme et des enjeux qui, encore aujourd'hui, nous semblent les plus difficiles à comprendre, les plus éloignés de notre propre vision du monde.

Sommaire [brièvement commenté] :

- Première partie : « Le point de vue chrétien : "des ministres du Démon" », comprend 4 textes, datés entre 1535 et 1672, dont les auteurs étaient des hommes d'Église soucieux d'évangélisation et d'éradication de toute pensée (et pratique) hétérodoxes.
- Deuxième partie : « De "jongleurs estimés" à "imposteurs" : la vision humaniste devient rationnelle », comprend les textes numérotés 5-9, datés 1724-1785, dont un par Diderot (1765). Bien que les Lumières dénoncent partout l'obscurantisme et la crédulité, a fortiori chez l'Autre, le dernier texte (cf. cit. 1 infra) montre une transition vers un effort de compréhension par l'empathie.
- Troisième partie : « Les anthropologues entrent dans la danse », comprend les textes 10-19, datés 1871-1914, dont deux par le grand anthropologue Franz Boas. La démarche s'efforce de se faire scientifique notamment par des tentatives de définition (qu'est-ce qui est et qu'est-ce qui n'est pas du chamanisme ?), et par les premières réflexions méthodologiques du savant sur sa posture d'observation.
- Quatrième partie : « La compréhension s'approfondit », comprend les textes 20-33, datés 1929-1962. Apparaissent les noms illustres de Knud Rasmussen, Alfred Métraux, et Claude Lévi-Strauss avec une contribution essentielle de 1949 : « Chamanes et psychanalystes » (cf. cit. 2). Un texte de Georges Devereux de 1956 fait hélas un peu figure d'arrière-garde... Nous assistons là à deux grandes nouveautés : les études de cas spécifiques, et la parole laissée explicitement à l'Autre.
- Cinquième partie : « Les observateurs se mettent à participer », comprend les textes 34-40, dont les deux premiers remontent à la fin des années 1950 (dont le célèbre témoignage de Gordon Wasson, 1957), mais qui s'étendent globalement sur les décennies 70 et 80, bien que Bronislaw Malinowski ait théorisé la méthode de l'observation participante dès les années 10. La participation des observateurs a pour effet, naturellement, de prendre les chamanes au sérieux.
- Sixième partie : « Récolte de données sur un phénomène protéiforme », comprend les textes 41-51, datés 1967-1994. Désormais il n'est plus question d'évolution chronologique. Ces textes reflètent la sophistication scientifique actuelle ; néanmoins leurs auteurs renoncent – sans doute suite à la publication de l'immense traité de Mircea Eliade – à traiter du chamanisme au singulier, ils privilégient les spécificités d'un terrain de recherche particulier ou bien d'un thème circonscrit.
- Septième partie : « La culture globale et le savoir indigène s'attirent et se repoussent », comprend les textes 52-64, datés, pour la plupart, des années 1990 (exception faite de « Science et magie : deux voies de connaissance » par Claude Lévi-Strauss, 1962). Ces articles sont caractérisés par l'enchevêtrement ou l'interconnexion entre le global et le local.
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