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Critique de LiliGalipette


Jacques et Louise Marles sont ruinés. Pour fuir leurs créanciers, ils partent en Brie, dans un château dont Antoine, l'oncle de Louise, a la garde. Arrivés sur place, ils constatent que le château de Lourps est une ruine battue par les vents et hantée par les chats-huants. La promesse du repos et du réconfort s'éloigne rapidement. Aux tracas parisiens se substituent les misères provinciales.
Antoine et Norine, sa femme, sont des paysans filous, âpres au gain, avares et malhonnêtes. Ils ne voient en Louise et Jacques que des Parisiens à rançonner. Ressassant leur pauvreté et égrenant la liste de leurs prétendus malheurs paysans, ils incarnent l'image populaire des provinciaux rustres et malappris. Leur langage à lui seul, entre patois et jurons, se veut l'illustration de leur caractère grossier. Étymologiquement, Jacques est l'un d'eux par son prénom, mais tout son être se révolte et se rebiffe : pour lui, il est impensable de s'assimiler à cette population frustre. Et pourtant, dans sa solitude exacerbée, il croit trouver un plaisir à la compagnie des navrants paysans.
Dès le début du séjour, Jacques est traversé de rêves et d'hallucinations qui le laissent épuisé. « Il tenta de s'analyser, s'avoua qu'il se trouvait dans un état désorbité d'âme, soumis contre toute volonté à des impressions externes, travaillé par des nerfs écorchés en révolte contre sa raison, dont les misérables défaillances s'étaient, quand même, dissipées depuis la venue du jour. » (p.76) Des heures entières, Jacques revit les songes qui ont occupé son esprit : « l'insondable énigme du Rêve le hantait. » (p.78) C'est ainsi qu'il occupe de mornes journées. Jacques s'ennuie maladivement : plus sa mélancolie s'aggrave, plus l'ennui se fait prégnant et cet ennui entraîne une mélancolie toujours plus profonde. Mais, à l'inverse de l'illustre Des Esseintes, héros du précédent héros de Huysmans, Jacques n'a pas de fortune pour tenter de tromper l'ennui. Sa misère lui est une douleur supplémentaire, une barrière à un hypothétique bonheur.
Le château en ruines est propre aux fantasmagories les plus hideuses et aux suppositions les plus baroques. Son immensité délabrée et ses mystères insondés ont quelque chose de gothique qui cède finalement au pathétique le plus profond. Nul secret et nulle merveille en ces murs poussiéreux, le château n'est qu'une bâtisse aussi vide que l'âme de Jacques, une incarnation architecturale du taedium vitae. À l'instar de Jacques qui se laisse glisser dans une mélancolie néfaste, le château de Lourps rend les armes devant le temps et les hommes. Les ténébreux songes de Jacques ne sont finalement que l'écho de ses promenades vaines dans les couloirs du triste manoir. « Les cauchemars de Jacques étaient patibulaires et désolants, laissaient dès le réveil, un funèbre impression qui stimulait la mélancolie des pensées déjà lasses de se ressasser, à l'état de veille, dans le milieu de ce château vide. » (p. 199)
Dans la solitude et l'indigence campagnarde, la maladie de nerfs de Louise s'aggrave. Et le couple se délire inexorablement. L'épouse refuse sa couche à l'époux et l'homme s'exaspère de cette chasteté forcée autant qu'il s'énerve de ne plus désirer sa femme. « Ce séjour à Lourps aura vraiment eu de bien heureuses conséquences ; il nous aura mutuellement initiés à l'abomination de nos âmes et de nos corps. » (p. 211) À cela s'ajoutent les terreurs causées par le manque d'argent et les angoisses des comptes qui laissent la bourse de plus en plus vide. Pour Jacques et son épouse, ce séjour en province n'aura rien résolu. le retour à Paris, espéré et idéalisé, porte à peine la promesse de lendemains meilleurs. « Ce départ ferait-il taire la psalmodie de ses pensées tristes et décanterait-il cette détresse d'âme dont il accusait la défection de sa femme d'être la cause ? Il sentait bien qu'il ne pardonnerait pas aisément à Louise de s'être éloignée de lui au moment où il aurait voulu se serrer contre elle. » (p. 211)
Dans ce roman, Huysmans s'essaie au symbolisme et à la transcription du rêve. Une nouvelle fois, il fait montre d'une remarquable puissance d'évocation dans ses descriptions : entre hypotyposes et ekphrasis, elles ne laissent rien au hasard et le lecteur n'est privé d'aucun détail. Dans Là-bas, Huysmans faisait s'élever les murs sur des ruines, ici il fait tomber les murs et révèlent les ruines à venir.
L'opposition Paris/province est savoureuse, mais ce roman m'a assez rapidement lassée et je l'ai achevé sans plaisir. Si j'ai retrouvé la belle plume de Huysmans, j'ai le sentiment qu'il s'est écouté écrire : bien que l'auteur propose des phrases sublimes, il aurait pu faire l'économie de quelques formulations, voire de quelques pages.
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