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Critique de HundredDreams


Hwang Sok-yong est un écrivain coréen, lauréat de nombreux prix internationaux découvert grâce à la superbe critique de HordeduContrevent que je vous engage à aller lire.

"Le vieux jardin" est l'histoire d'une révolution, d'un engagement pour une cause, mais c'est aussi une belle histoire d'amour et de sacrifice.
Récit engagé, il rend compte des évènements qui ont entouré le massacre de Kwangju en 1980.

En partie autobiographique, « le vieux jardin » est un roman saisissant de vérité. Surtout lorsque l'on apprend que l'auteur a écrit ce récit après avoir été lui-même incarcéré pendant cinq ans pour atteinte à la sécurité nationale.

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« Pour parler comme lui, la caractéristique la plus importante de l'homme et de ce monde, c'est le changement. Nous allons vivre les changements de ce monde, moi dehors et lui dans son obscurité. J'ai envie de vivre. »

En Corée du Sud, à la fin des années 90, O Hyônu, un prisonnier politique sud-coréen, est libéré après dix-huit ans de captivité. Il découvre alors que le monde dans lequel il vivait n'existe plus et que Han Yunhi, la femme artiste peintre dont il était amoureux, est décédée depuis quelques années.

« Une fleur fanée continue à être belle, mais pourquoi le corps humain se décompose-t-il de façon si cruelle ? »

Il décide alors de retourner dans la petite ville de Kalmae, loin de l'agitation de Séoul. Là, se trouve une vieille maison de campagne où sa compagne et lui vivaient ensemble autrefois.
L'épreuve carcérale l'a fortement marqué et c'est dans cet environnement calme et rassurant qu'O Hyônu va reprendre pied dans une Corée en pleine mutation.

« Si tu as peur, laisse la porte ouverte. Il y a une brise agréable et tu pourras même admirer les étoiles. »

La maison a été laissée en état depuis le décès de Yunhi, et parmi les affaires abandonnées, il va retrouver des journaux intimes, des lettres non envoyées, des lettres reçus, des tableaux et des carnets à dessin.

« Même si on admet qu'elle existe toujours quelques part, la personne qui a disparu d'un lieu laisse le poids de l'absence à celui qui y est resté. J'avais l'impression que tous les objets, même les étoiles, allaient s'évanouir pour laisser la place à un nouveau décor, comme dans un rêve. »

Après avoir emprisonné au plus profond de son coeur, ses sentiments, ses émotions, la lecture de la correspondance qu'il n'a pas pu recevoir et du journal qu'elle lui adresse comme un testament va faire rejaillir des souvenirs de sa vie, avant, pendant et après elle.

« Une des caractéristiques d'un détenu à l'isolement depuis longtemps est qu'il n'est plus capable d'exprimer ses sentiments, parce qu'il ne peut pas les partager. »

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Ainsi, le roman se fractionne, alternant deux voix dans une construction chronologique complexe.

Dans ses écrits, elle lui relate sa vie intime, son quotidien, ses pensées, ses souvenirs de ces quelques mois de bonheur éphémère avec lui, son amour qui ne s'est jamais éteint malgré la distance et l'absence, ses engagements politiques et plus largement, l'histoire de la Corée. On découvre une femme forte, indépendante, sensible, condamnée à vivre seule.

« Comme un navire qui s'éloigne du quai après avoir hissé la voile, notre amour s'apprêtait à traverser un océan où il affronterait d'innombrables vagues et tempêtes. Il venait pourtant à peine de s'éveiller. »

En réponse à ses confidences, O Hyônu, considère l'homme qu'il a été et nous dévoile par flashbacks, sa vie, ses rêves, ses regrets, sa lutte révolutionnaire, ses désillusions, ses années passées en prison. On découvre un homme engagé, confronté à des choix, plein d'optimisme et de projets, luttant pour faire avancer son pays vers plus de démocratie, de justice, d'égalité et de liberté.

« Il ne faut pas avoir peur des vagues qui agitent votre âme. C'est ça, la vie. »

Alors qu'O Hyônu rêvait de révolution et de lutte contre le pouvoir dictatorial et l'impérialisme américain, Yunhi ne désirait qu'une vie simple, retranchée du monde où chacun aurait été le refuge de l'autre. Sa souffrance silencieuse m'a touchée.
Ce qui est aussi bouleversant, c'est ce sentiment d'absence qui imprègne chaque page, comme s'ils vivaient chacun dans la mémoire et les souvenirs de l'autre.

« En prison, les saisons sont comme les couches concentriques d'un arbre ; ce sont de minuscules évènements qui les gravent dans la mémoire. »

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En alternant une narration à la première personne entre O Hyônu et Yunhi, le lecteur pénètre leurs pensées les plus intimes. Elles défilent, s'intercalent, bondissant d'une époque à une autre, donnant l'impression que les deux amants se répondent.
Je me suis laissée entraîner par ces va-et-vient incessants dans L Histoire, par ces changements de narration et de points de vue sans parfois aucune articulation.

« le rêve qui me hante finit par s'évanouir comme enveloppé de fumée, aucune image nette n'en subsiste, et c'est le flou que j'appelle amour ! »

« Maintenant que j'y pense, je regrette que notre vie à Kalmoe n'ait pas duré quelques mois de plus. Ou quelques semaines de plus. Un jour de plus. »

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Avec beaucoup de sensibilité et de pudeur, Hwang Sok-yong offre de belles réflexions sur le temps qui passe, la solitude, la vie et le bonheur, la force de l'amour, le sacrifice, la liberté et la justice, le prix à payer pour pouvoir rêver d'un avenir meilleur. Beaucoup d'émotions sont retranscrites dans les silences, les non-dits.

« C'était sur le sentier du passé que je me faufilais quand j'étais assis sur ma paillasse. »

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Ce récit très réaliste nous permet d'apprendre beaucoup sur l'histoire récente de la Corée, la vie quotidienne des gens du peuple, leurs coutumes.
A travers la magnifique voix de Yunhi, le lecteur découvre ses combats pour s'émanciper, son implication dans le mouvement étudiant. Il découvre aussi les changements dans la société sud-coréenne, la montée du capitalisme et le passage à une société de consommation.

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L'écriture, à la fois poétique et descriptive, douce et amère, sentimentale et profonde se concentre davantage sur les idées politiques et les répercussions émotionnelles que sur l'intrigue que l'on connaît dès les premières pages.
Le rythme est assez lent, tourné vers l'introspection et les souvenirs du passé.

J'ai été happée par ces petits moments de vie partagés, un peu moins par les idées politiques que j'ai trouvées parfois trop répétitives, redondantes.

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Pour conclure, « le vieux jardin » est un récit émouvant, sombre et profond, dans lequel Hwang Sok-yong dessine deux magnifiques portraits.
Ce récit choral est, tour à tour, emprunt de douceur, de violence, de tristesse, de peur, d'amertume et de nostalgie.
Un beau moment de lecture.
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