« Votre meilleur ami, c'est vous ! » Qui n'a pas déjà entendu cette petite phrase bien connue des coachs et adeptes des feelgood thérapies ? Qualité de vie, bien-être à l'école, au trava
il, et bienveillance sont désormais des indicateurs – et des termes – dont tiennent compte aussi bien les pouvoirs publics que le système éducatif et évidemment les professionnels du management. Cette exhortation à être heureux se décline d'ailleurs dans nos modes de vie : faire du sport, mieux manger, méditer, se relaxer, trier ses déchets, acheter bio et équitable, prendre soin de soi, écouter ses envies, être inspiré, analyser ses émotions…
Or, « le bonheur est-il cet objectif suprême que nous devrions tous nous efforcer d'atteindre ? » s'interrogent les chercheurs
Eva Illouz et
Edgar Cabanas dans leur ouvrage
Happycratie. Comment l'industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies, paru le 23 août aux éditions Premier Parallèle. Ils dissèquent ce phénomène de société devenu une véritable tyrannie et surtout une industrie juteuse.
S
i le présent ouvrage apporte une contribution à l'actuel débat, très vivace, sur le bonheur, c'est en vertu de sa perspective sociologique critique. Nous nous sommes appuyés ici sur les travaux que nous avons précédemment menés – des travaux consacrés aux émotions, au néolibéralisme et à la culture thérapeutique –, en creusant certaines idées déjà exposées ailleurs et en en introduisant de nouvelles, notamment quant aux rapports entre la poursuite du bonheur et les modalités d'exercice du pouvoir dans les sociétés capitalistes néolibérales.
L'industrie du bonheur qui cherche aujourd'hui à prendre le contrôle de nos subjectivités est l'équivalent contemporain de la “machine à expériences” de
Robert Nozick, qu'un
Aldous Huxley put en son temps mettre en scène à sa façon, à travers le roman [
Le Meilleur des mondes, NDLR].
Cette industrie du bonheur ne fait pas que perturber et brouiller notre capacité à connaître les conditions qui façonnent nos existences ; elle rend aussi nulle et non avenue une telle capacité. Ce sont la justice et le savoir, non le bonheur, qui demeurent l'objectif moral révolutionnaire de nos vies. »