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Critique de Kirzy


Arnaldur Indridason surprend en s'éloignant totalement de l'univers polar dans lequel il excelle pour proposer un surprenant roman noir historique qui se déroule fin XVIIIème siècle entre le palais de Christianborg à Copenhague et la campagne isolée du fjord Breidafjördur au Nord-Ouest de l'Islande.

Cela commence comme un conte. Jon Sivertsen, simple horloger, en train de restaurer une précieuse horloge dans les sous-sol du palais royal danois, rencontre inopinément le roi Christian VII en personne. Une conversation quasi surréaliste s'engage. Jon lui raconte la tragique histoire de son père islandais et de sa gouvernante tous deux exécutés sur ordre du roi Frédéric V ( père de l'actuel ). Il doit convaincre son roi que la peine était injuste sinon il risque la prison ou pire.

On retrouve dans ce roman les qualités de conteur de l'auteur dont la narration enveloppe le lecteur avec une fluidité remarquable pour passer du passé islandais du père au présent danois de l'horloger. Comme dans ses polars, aucune fioriture, aucun rebondissement superficiel, aucune recherche de spectaculaire. J'ai été surprise d'être aussi prise et intéressée par les passages liés à la restauration de l'horloge, Jon essayant de comprendre son fonctionnement mécanique et partant à la recherche des pièces ( automates ou carillons ) qui ont été dispersés dans Copenhague. D'ailleurs, cette horloge, chef d'oeuvre réalisé par l'horloger suisse Isaac Habrecht en 1572 existe vraiment, visible au palais de Rosenborg.

On retrouve également toutes les obsessions d'Arnaldur Indridason : le questionnement du passé de l'Islande, la volonté de rendre justice aux victimes et la perte d'êtres chers. C'est tout le drame d'une Islande colonisée par le Danemark que raconte Jon comme pour ouvrir les yeux à son roi. Une Islande de misère où les enfant meurent de malnutrition, une Islande rurale broyée par le Stóridómur ( un corpus de lois adoptées en 1564 pour interdire les relations sexuelles hors mariage et lutter contre la prétendue légèreté de moeurs des Islandais ) appliqué iniquement et brutalement par des baillis royaux avides de récupérer les biens des condamnés.

De façon très subtile, l'auteur amène ses deux personnages si dissemblables au départ à se rapprocher et on y croit à cette improbable relation. L'histoire racontée par Jon sème la confusion chez Christian VII, roi fantoche écarté du pouvoir par son propre fils car souffrant de démence. Ce dernier, ridicule au départ, devient de plus en plus humain à mesure que ses failles se révèlent, et au final c'est toute la clique de sa cour qui semble fort risible. Sur la fin, le récit se teinte de mélancolie sur le temps qui passe, devenant méditatif sur la solitude lorsque ceux qu'on aime ne sont que des fantômes qui vous hantent.

Ce roman parle aussi de la liberté d'expression. Jon, le narrateur sorte de Shéhérazade polaire, semble être une métaphore de l'écrivain. Il crée une histoire pour retenir l'attention du roi, sans dire de mensonges mais en inventant ce qu'il n'a pas vu de ses yeux :
« Il avait à coeur de relater l'ensemble des faits dans un souci de justesse et de vérité, sans omettre aucun détail d'importance, même s'il devait en pâtir. Que devait-il laisser de côté ? Qu'est-ce qui comptait le plus ? Quels personnages liés à cette histoire méritaient d'être mentionnés ? Quels éléments allait-il choisir de taire ? Lesquels comptait-il utiliser ? Comment maintenir l'attention du souverain ? Comment éviter de déclencher ses foudres ? Devait-il se borner à dire ce que, selon lui, Sa Majesté avait envie d'entendre ? N'était-ce pas un meilleur choix d'être honnête et de lui faire part du fond de sa pensée ? Ne devait-il pas juste laisser libre cours au récit, quelles que soient les conséquences de ses paroles ? Mais si ses propos le mettaient en mauvaise posture, n'était-il pas préférable de s'abstenir ? L'occasion lui était offerte de façonner les opinions de Sa Majesté le roi Christian VII ? Ne devait-il pas en profiter ? »
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