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Critique de LaBiblidOnee


Le Docteur Larch gère un orphelinat dans le Maine des années 1930-1950. Il accueille les enfants qu'on lui amène et tente de leur trouver de bonnes familles d'adoption, mais accouche aussi des femmes venues spécialement lui confier leur enfant (l'oeuvre de Dieu)… Sollicité pour des avortements (la part du diable), il les refuse au prétexte qu'ils sont illégaux à cette époque. Mais très vite, il se rend compte que d'autres personnes se prétendant médecins avortent ces femmes en cachette, comme des bouchers et moyennant finance, tuant souvent ces femmes par leur incompétence. C'est pour sauver les femmes de ces boucheries que le Docteur Larch décide de les avorter lui-même si elles le demandent, à condition que l'enfant ne soit pas encore viable. de plus, son quotidien à l'orphelinat l'amène à penser qu'il vaut mieux donner le choix à la femme d'avorter avant que l'enfant n'existe vraiment, que d'offrir à ces enfants non-désirés une existence dans laquelle ils manqueront d'amour et d'un peu tout.


Puis rapidement, nous faisons la connaissance d'Homer Wells, l'un des orphelins qui grandira au centre, faute de trouver une famille d'accueil à la hauteur. le Docteur Larch a fini par l'aimer comme un fils et se demande comment Homer pourra s'intégrer dans la vie, une fois majeur, en ayant grandi dans l'orphelinat… Il lui confie alors de plus en plus de tâches et lui apprend peu à peu son métier d'accoucheur. L'élève se révélant doué, il continue son apprentissage en l'assistant pour les avortements. Mais bientôt, Homer ne supporte plus de voir les cadavres du curetage, certes non encore viables mais déjà formés, ni la tristesse des femmes qui se séparent définitivement de leurs enfants, ni l'idée de cette séparation définitive : Il refuse de pratiquer des avortements. Pour lui, les femmes devraient avoir le choix d'avorter ou non, mais lui a le choix de refuser de le faire lui-même.


Alors un jour, lorsqu'un couple venu avorter lui propose de repartir avec lui, il quitte l'orphelinat pour d'autres aventures. Pourtant, il continuera d'adresser des patientes au Docteur Larch car, où qu'il aille, il est confronté à la réalité de son époque. S'en suit alors une correspondance entre Homer et le Docteur Larch qui, se voyant vieillir, tente de faire revenir son disciple pour continuer son oeuvre clandestine mais propre et, selon lui, juste. Car, comme il l'explique à Homer :


« Si l'avortement était légal, tu pourrais te permettre de refuser - en fait, étant donné tes convictions, tu devrais refuser. Mais tant que l'avortement est illégal, comment peux-tu dire non? Comment peux-tu te permettre un choix en la matière, alors que tant de femmes n'ont pas la liberté de choisir elles-mêmes? Les femmes n'ont aucun choix. Je sais que tu estimes cela injuste, mais comment peux-tu - surtout toi, avec ton expérience -, comment peux-tu te sentir libre de refuser d'aider des êtres humains qui ne sont pas eux-mêmes libres d'obtenir d'autre aide que la tienne ? Il faut que tu les aides parce que tu sais comment les aider. Demande-toi qui les aidera si tu refuses. »


En si peu de mots, tout est dit. On trouvera pourtant beaucoup d'autres pistes de réflexion et confrontation d'opinions dans ce magnifique roman. Pris dans les filets de la justesse de ton de John IRVING et du bon sens du vieux Docteur Larch, nous ne pouvons plus lâcher ce bouquin avant de savoir : Homer sacrifiera-t-il ses idées personnelles au nom de cet idéal de justice sociale ?


*****

Véritable immersion dans l'Amérique des années 1930 à 1950, c'est à travers la vie et les expériences d'Homer Wells, du Docteur Larch et de ses multiples personnages secondaires tout aussi soignés, que ce roman pose la question de l'avortement sous un angle intéressant : Non pas uniquement celui du droit d'avorter mais, tout en nous en montrant les causes et conséquences, celui du devoir de pratiquer cette intervention quand les femmes sont privées de ce choix par la loi. La problématique est intéressante car elle oblige les personnages à mettre tout jugement personnel de côté pour faire ce qu'ils pensent être juste (donner le choix à des personnes à qui on l'a enlevé injustement) et non ce qu'il pense bien ou mal (l'avortement en lui-même). C'est pourquoi l'auteur nous présentera indifféremment et successivement plusieurs cas d'avortements très différents (viols, manque de moyens, ou parents pas prêts, etc…), afin que l'on comprenne bien que peu importe la cause et ce qu'en pense chacun (le médecin, ou bien la femme elle-même qui souvent y a recours à reculons). Car l'avortement n'est jamais demandé de gaieté de coeur, et il appartient à la loi de l'encadrer sous peine d'obtenir le genre de dérives que l'on connaît.


Ce qui est intéressant dans ce roman c'est que, sans jamais juger personne, IRVING parvient à démontrer que le vécu de chaque personne influe sur son jugement au moins autant que sa sensibilité.


De par son passé personnel, mais également au vu de son quotidien à l'orphelinat, Larch a été amené à penser que priver la femme de choix en rendant l'avortement illégal est une ineptie. Non pas qu'il incite systématiquement à l'avortement, mais il estime que, parfois, mieux vaut un avortement avant que l'enfant n'existe réellement, plutôt que de mettre au monde un enfant pour qu'il en souffre ensuite (par abandon, maltraitance, absence d'amour, de moyens de le rendre heureux, etc...).


Homer quant à lui, qui ne supporte pas qu'une mère puisse abandonner définitivement son enfant, préfère l'abandon qui comporte l'espoir d'un amour retrouvé. Mais sa vision des choses sera mise à mal par son expérience de la réalité de la vie dès sa sortie de cet endroit clos et relativement protégé qu'est l'orphelinat : Il apprendra alors quelle importance a la liberté de choisir dans la vie de chacun d'entre nous, et il affinera alors sa vision de la justice.


Pour quel choix final ? A vous de le découvrir, ainsi que les multiples autres atouts de ce roman incroyablement beau et juste, complet et parfaitement conté, qui fut pour moi un coup de coeur. Enorme. Pourtant, « l'épopée du buveur d'eau » m'étant tombé des mains il y a longtemps, je n'avais aucune envie de recommencer l'expérience… Mais je remercie mon mari de m'avoir poussée à lire celui-ci ! John IRVING sait incontestablement raconter une histoire : que ce soit sa plume, la construction du récit, la présence incroyable des personnages et, plus encore, sa manière de nous planter le décor et le contexte social ou historique dans lesquels il a décidé de nous emmener faire un tour : Il est juste impressionnant, et très vite on lui fait une confiance totale, on se laisse porter.


Je crois que c'est la première fois que je lis 810 pages sans aucune phrase en trop, sans jamais avoir envie de lire en diagonale quoi que soit pour fuir les longueurs dans le style ou dans l'histoire. J'ai presque envie de dire que c'est le meilleur livre que j'ai lu jusque-là mais je me méfie de ce genre de formules, alors disons qu'il fait partie des meilleurs que j'ai lu, c'est certain.

Lien : http://onee-chan-a-lu.public..
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