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Critique de Isidoreinthedark


« Les vestiges du jour » est un roman écrit en 1989 par Kazuo Ishiguro, né à Nagasaki en 1954, arrivé en Grande-Bretagne à l'âge de cinq ans et prix Nobel de Littérature.

Situé dans la période qui va de l'entre-deux-guerres jusqu'aux années cinquante, le roman évoque de prime abord un opus de P.G. Wodehouse nous narrant les aventures drolatiques de l'inimitable Jeeves, ou une romance raffinée de Somerset Maugham qu'évoquait Alain Souchon dans sa chanson éponyme. Et pourtant. le roman singulier d'Ishiguro fait preuve d'un esprit de sérieux qui l'éloigne de la verve humoristique « so british » de Wodehouse et tient davantage du conte philosophique que de la romance.

Le narrateur Stevens est le majordome vieillissant d'un riche américain, Mr. Farraday qui a repris le somptueux domaine de Darlington Hall, suite au décès de son ancien propriétaire, Lord Darlington. Sur la suggestion de son nouvel employeur, il entreprend un voyage de quelques jours dans la Ford de Mr.Farraday, afin de « voir du pays ».

Comme l'indique son très beau titre, « Les vestiges du jour », le voyage de Stevens est avant tout un voyage intérieur, teinté d'une nostalgie douce-amère où le narrateur plonge dans les souvenirs d'une vie tout entière dédiée à sa vocation de majordome. Dans un style compassé et volontairement précieux, qui épouse la nature des réflexions et de l'univers de Stevens, Ishiguro nous conduit au coeur de l'entre-deux-guerres, et du tropisme germanophile de l'influent Lord Darlington, qui fut son employeur pendant la plus grande partie de son existence.

Le majordome a l'intention de profiter de son voyage d'agrément pour rendre visite à Miss Kenton qui fut son employée pendant de nombreuses années et de lui proposer de reprendre du service, suite à un échange épistolaire laissant entendre que son mariage ne se portait pas au mieux. La relation entre le narrateur et celle qui fût sa confidente recèle de nombreux non-dits. Les deux personnages aux manières impeccables, tout droit sortis d'un roman élisabéthain, ont peut-être sacrifié la possibilité d'une authentique histoire d'amour sur l'autel de leurs fonctions respectives au service de Lord Darlington.

Roman paradoxalement immobile, dans le sens où il ne comporte pas de véritable intrigue, « Les vestiges du jour » est teinté de la douce mélancolie qui colore l'introspection de son narrateur examinant sa longue carrière de majordome. Aussi suranné que cela puisse paraître, il donne à sa fonction la plus haute importance, et la conçoit comme une destinée qui mérite tous les sacrifices. Pressentant qu'il est sur le déclin et ne s'acquitte plus de sa tâche avec le même entrain que durant sa jeunesse, il s'interroge sur le sens d'une fonction sur le point de devenir obsolète.

« Les vestiges du jour » donne ainsi lieu à de longues digressions sur la dignité, qui est selon le narrateur, la qualité essentielle d'un majordome. Avec un esprit de finesse et de sérieux que le style ampoulé de l'auteur rend à merveille, Stevens revient sur sa vocation, et sur la dignité dont il a su faire preuve dans l'exercice de ses fonctions, à l'image de son père qui fut lui-aussi majordome au début du siècle.

Le roman d'Ishiguro est un exercice de style ironique et caustique, qui questionne la haute société anglaise, son raffinement, sa sophistication, son attention démesurée pour les apparences, et le dévouement de certains domestiques pour leur employeur. Ne nous y trompons pas. Derrière ses bonnes manières, et son faux air de roman nostalgique d'un homme intègre qui interroge avec sincérité son parcours de majordome, se dissimule un ouvrage d'une cruauté presque dérangeante.



« Les vestiges du jour » est un roman ambitieux qui comporte plusieurs niveaux de lecture. La finesse du narrateur suscite l'empathie du lecteur qui s'attache peu à peu à un vieux monsieur qui se retourne sur les vestiges de son existence. Et pourtant. C'est le regard sans concession de l'auteur qui finit par l'emporter, une dénonciation d'autant plus cruelle qu'elle est implicite, de l'inutilité des sacrifices de Stevens, passé à côté de sa vie, pour servir un « Lord » aux inclinations plus que douteuses.
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