Minuit, impasse du Cadran

Au bout de la rue Norvins, il dépassa le Moulin de la Galette, avec ses chevaux de bois, ses balançoires, son caboulot, et gagna le Moulin-Neuf d'où le plus étonnant point de vue sur la ville s'offrit à lui. Au sud, il contempla le Paris de pierre, de fer, de bronze et d'or, baigné d'une brume mordorée. Au nord, nimbés de lourds panaches issus d'usines, s'abaissaient Clignancourt et la banlieue industrielle qui courait de Clichy à Aubervilliers. Il resta là, immobile, empli d'une paix absolue.

Victor se mit à l'abri d'un fauteuil. René Cadeilhan se révélait un assassin potentiel par entremise canine.

Sur le trottoir humide scintillaient l'éclairage des magasins et les lanternes des véhicules lancés boulevard de Bonne-Nouvelle. Joseph n'avait éprouvé aucune envie d'assister à une représentation exceptionnelle de "Dégénérés !" en dépit de l'affiche qui annonçait en capitales rouges :
M. MICHEL PROVINS A TROUVE UN MOT ET UNE IDEE QUI CARACTERISENT SON EPOQUE.

- Alors voici l'origine du litige? De quoi m s'agit-il ? - Je vous résume. Un meurtre affreux s'est produit cette nuit impasse du Cadran, dans le XVIII arrondissement. On a decouvert le cadavre d'un jeune homme égorgé. On l'avait dépossédé de ses papiers. sauf d'une lettre, ce qui a permis de l'identifier, Ce malheureux a été l'objet d'une macabre mise en scène. Une faux miniature était dressée sur son torse. Près de lui, trois grosses pierres enveloppées de tissu blanc. Une clepsydre. Un crocodile en peluche. Un sachet contenant des épis de blé et des graviers noirs.

Colette adorait être seule dans la boutique. Cela lui évoquait son enfance, la vieille maison de ses parents, le hangar au fond du jardin auprès duquel clapotait un ruisseau où sa mère battait le linge familial. La mousse savonneuse se figeait en flaques grisâtres. Colette prétendait qu'il s'agissait d'oeufs à la neige. Elle s'inventait des histoires, devenait marchande de gâteaux magiques à l'intention de ceux qui se montraient généreux envers les gamins de pauvres et acceptaient de leur offrir un jouet.

L'homme a les yeux plus gros qu'le ventre, il dépeuple à tour de bras, il s'en prend à ses propres frères, aux animaux, aux arbres… C'est pas la fin du monde, c'est la fin d'un monde, ça prendra juste un peu plus de temps.

il raconte que la disparition du genre humain ne sera pas une grande perte et que le temps en a plein le dos d'être évalué en heures de labeur pour les pauvres et de profit pour les nantis.

Quelle félicité de savoir à quelle date précise va s'achever cette sale histoire qu'est celle de l'humanité ! C'est simple, depuis qu'on a adopté la station verticale, on n'a commis que des horreurs. Ca vous donnerait envie de vous déplacer à quatre pattes comme la plupart des animaux qui se respectent !

- Vous êtes un homme plus obstiné qu'un mulet du Poitou commenta Kenji. Vous rendez-vous compte, que vous avez une nouvelle fois frôlé la mort et que Watanabe-san et moi avons failli être percés de part en part ?

Il agita le crocodile sous le nez de Joseph.
- Qu'est-ce que c'est que ça?
- On l'a envoyé ce matin à ma fille de deux ans et demi.
- Nom d'un chien! Vous pensez que c'est un avertissement? Qui possèderait votre adresse?
- Tous les suspects, nous leur avons distribué nos cartes de visite!