Il faut craindre le silence des pantoufles plus que le bruit des bottes.
Où couraient-ils, ces aficionados des tours-opérateurs ? Notre-Dame-Sainte-Chapelle-tour-Eiffel-Louvre-Moulin-Rouge, vite, vite, au pas de charge, le viseur à l'oeil, le doigt sur la détente, prêts à mitrailler.Leurs cars empestaient la planète, tout ça pour cavaler sur le macadam des grandes cités tentaculaires !
Vous avez remarqué, il n'y a qu'une consonne qui sépare livre de libre.
Un jeune homme soupesait mollement "Les Fleurs de Mal" comme pour en évaluer le poids.
- Pardon, c'est lui qui en parle, non? Parce que je l'ai, moi, le spleen. Je m'ennuie tout le temps, mais c'est plus que de l'ennui, c'est du blues.
- Profitez-en, ennuyez-vous tant que vous pourrez ! rétorqua aigrement Milo. Parce qu'à mon âge, on ne s'ennuie plus, on s'emmerde !
Je suis le dernier représentant d'une lignée en voie d'extinction, le Bouquinistuserectus.
Et s'il faisait partie du complot ? Quel complot ? Te crois-tu au centre d'une cabale montée pour anéantir tous les bouquinistes ou mieux, tous les bouquinistes ayant adopté un fox boulimique ?
- Au diable les bouquins. Rien ne vaut la vie.
Une idée folle lui traversa l'esprit : Roland ? Roland se trouvait peut-être coincé quelque part, dans un no man's land astral dont il ne pourrait s'arracher qu'après avoir confondu son meurtrier ?
Déconne pas Milo !
De boire, pas question. Au pas de charge, il parcourut le quai des Grands-Augustins, le quai Saint-Michel et une portion du quai de Montebello, pour demander à chaque bouquiniste s'il avait eu la visite d'une rouquine à la recherche de Vingt Mille Lieues sous les mers. Il reçut plusieurs réponses affirmatives, mais aucun collègue ne connaissait son adresse ou son téléphone.
Toujours courant, il revint à sa place qui n'était plus gardée par le dragon Stella, entourée d'un groupe de touristes japonais hérissés de tours Eiffel. Si on ne t'a rien piqué, tu auras de la veine, se dit-il en s'échouant sur son pliant.
– Eh ben, Milo, t'as le gosier en pente ? J'ai cru que tu t'étais noyé ; tiens, je t'ai vendu un guide Maupassant.
Milo était accablé par un de ces moments de déprime absolue où son existence semblait se résumer à un brillant ratage. Côté amours : néant. Côté amis : des morts, des fauchés, des paumés. Côté famille : un chien. Côté travail : un boulot en voie de perdition où, quand il ne remuait pas des tonnes de rossignols à la recherche d'un merle blanc, il passait son temps à espérer qu'un bibliophile intrépide s'aventure jusqu'à ses boîtes.