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Critique de Chestakova


" Je propose une autre façon de parler de soi-même. Débusquer ce qui en nous, n'est pas à nous. Comprendre en quoi notre unicité est le produit d'un collectif, l'histoire et le social. Se penser soi-même comme les autres." (Poche, p47).
Ainsi Ivan Jablonka illustre-t-il les motivations profondes de son propos ; lorsqu'il nous propose de suivre les vacances de ses années d'enfance, au fil des routes, dans le combi-Volkswagen familial, c'est en historien, sociologue, anthropologue, qu'il nous invite. Néanmoins avec finesse, le regard tient aussi du sensible, du singulier, de ce qui constitue les racines de chaque vie, dans ce qu'elle porte du passé, et dans la manière dont elle en est consciente. Jablonka illustre dans son récit, son profond attachement à l'histoire de sa famille, ses grands-parents évoqués à plusieurs reprises, sont ici présents en ombres douces, à travers l'appétit de vie de son père et son injonction « Soyez heureux ! » lancée avec fureur à ses enfants qui s'ennuient à regarder le paysage par les carreaux du combi, en 1986, au Maroc. Pour ce père, empoigner la vie et la beauté, à portée de vue, à portée de mains, en rattrapage d'un autre temps, est une nécessité vitale, qui n'a de sens que dans le partage. Ivan Jablonka et son frère, auxquels le bonheur était transmis comme une injonction incantatoire, ont eu la chance au-delà de la contrainte, d'en découvrir les joies, les surprises, les richesses jusqu'à en être pétris et s'en constituer comme adultes. Dans les pages qu'il nous livre, il en est conscient et sait faire la part entre l'impatience de l'enfance, notée souvent au fil de son journal et la joie des découvertes infinies auxquelles ces vacances lui ont permis d'accéder. de la Sicile à la Grèce, de l'Italie à la Turquie, c'est toute une culture antique qui se met à sa portée, c'est la méditerranée de Braudel à hauteur d'enfant. Au fil des pages, l'apprentissage prend forme en douceur dans la joie des instants magiques de l'été, du bruit des vagues que l'on saute, aux odeurs de grillades, le soir au creux d'un spot dégotté aux jumelles. La conscience de ce bonheur est progressive pour l'auteur mais c'est bien un message de liberté qu'il en tire :
« le camping-car a été pur sentiment d'exister, droit au bonheur ».
Avec le regard de l'enfant, l'historien livre aussi sa réflexion sur les années 80 et la civilisation des loisirs en plein essor avec les vrais débuts du tourisme de masse. Sociologue, il mesure également où se situe dans la vie sociale l'expérience familiale, l'ascenseur social a fonctionné, les parents Jablonka ont les moyens de leurs vacances et ils en ont choisi la forme en toute liberté.
Ces vacances sont un luxe paradoxal, entre simplicité du quotidien au contact avec la nature et volonté de s'affranchir de la rigidité des normes, de s'affirmer différents en privilégiant la richesse culturelle. Ivan Jablonka fait le constat de la chance qui fut la sienne à grandir au rythme de ces étés magiques, cette liberté qu'il a reçue en héritage, d'autres ont dû se battre pour la conquérir, il en convient.
Son livre propose un regard aussi tendre que lucide sur une décennie, vécue comme un carrefour entre l'histoire d'un homme et le temps qu'il traverse.
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