Les inspirés

Pour les enfants, il n'y a qu'un seul père et c'est le père Joël. "Il nous punissait, nous cognait, mais c'était notre Père", dit Joseph. Chez les animaux domestiques, la peur du maître est rarement une barrière à l'affection qu'on lui porte. A Malrevers, il en est ainsi.

De Vincent, on dit maintenant qu'il est "inspiré". Il sait de beaucoup les secrets les plus intimes. Comment pourrait-il être informé autrement que par la parole céleste ? Il est vrai qu'il sonde avec ardeur les voies de ses cousines, moins impénétrables que celles du Seigneur. Monsieur est prophète. Cela vaut bien certains égards, et même ces écarts que des maris lui tolèrent sur leur propre épouse.

La bouteille a longtemps été la plus répandue des médecines Familiales. "Pour presque tous, le zinc est l'autel", disait François Lorris dans les années 1990. Les détracteurs de la Famille y voient la marque de ses souffrances ou l'expression inconsciente de son "anormalité", au sens propre du terme. L'ivresse masque provisoirement les cogitations, évite que ne tourbillonnent ces questions auxquelles le collectif n'autorise qu'une unique réponse. "Si les gens étaient vraiment heureux dans la Famille, ils picoleraient moins", assène Alexandre, qui lui impute sa propre propension à boire plus que de raison.

Une première publication, fin juin 2020, révèle l'existence de la Famille dans les colonnes du Parisien. Souvent, un article est un aboutissement. La fin de quelques jours, semaines ou mois d'investigation, avant de passer au suivant. Celui-là est un premier jalon. Je mesure combien, en dépit de sa densité, il était lacunaire. J'ignorais qu'il me plongerait, pour des mois puis bientôt des années, dans le fascinant quotidien de ces trois mille cousins. Je ne mesurais pas non plus combien, pour cet Alexandre toujours pressant, cette première médiatisation était le fruit d'un éprouvant combat entamé cinq ans auparavant, seul ou presque contre cette Famille aux airs de légion romaine. La trahison assumée d'un si long secret.

La vie de Famille est facile. Si l'on en respecte les règles. "Ce ne sont pas des liens qui attachent, mais des liens qui relient", anticipe Lucien. Ils soumettent pourtant autant qu'ils unissent.

"Pour qu'un miracle soit reconnu tel, il faut que toutes les circonstances soient réunies", prévient ce connaisseur. Et là, à son sens, elles ne le sont manifestement pas. D'abord, un miracle tant soit peu convenable ne doit pas toucher les femmes. C'est bien connu : "Elles sont sujettes, par leur conformation et leur sexe, et comme la médecine nous l'enseigne, à des maladies singulières, promptes à se former, et également promptes à disparaître."
D'ailleurs, les bons chrétiens ne s'y fient pas, eux qui n'ont de tous temps reçus "qu'avec précaution les témoignages de jeunes filles" pour attester un miracle. Bernadette Soubirous appréciera. Si l'on doit se méfier des miracles au féminin, c'est "à cause de la légèreté et de la crédulité dont on accuse plus communément les personnes de ce sexe", précise monseigneur de Gergy.