Quand on voit ses parents dans cet état, on devient adulte, car on se rend compte que le monde est un endroit effrayant sur lequel ils n'ont pas de prise. Et si eux peuvent souffrir autant, s'ils ne maitrisent rien, quel espoir nous reste-t-il?
"Maman, t'es heureuse? demande t-elle au bout d'un moment, sans interrompre son jeu.
- Bien sûr, ma chèrie, dis-je, frappée par le ton sérieux de sa question.Je t'ai, Sarah, et ça fait de moi la maman la plus heureuse, la plus chanceuse du monde. Tu sais ça ?
- Oui, mais t'es triste parce que t'as pas de papa ?
- Voyons, ja'i un papa. Ton papi est mon papa."
Elle se tait, le front plissé, puis lève les yeux vers moi.
"Je veux dire un papa pour moi, dit-elle enfin. T'es triste parce que t'as pas un papa pour moi?
Tout le monde n'est pas aussi terrifié que moi dans la vie. Tout le monde n'a pas été marqué au fer rouge.
Hésitante, je contemple mes mains. Comment brise-t-on le cœur de quelqu'un ?
J'ai du mal à comprendre pourquoi nous avons besoin de patauger dans cette réalité, d'y revenir sans cesse, de la scruter à nous crever les yeux, le coeur déchiré par l'horreur et une indicible tristesse.
- Pathétiquement, ridiculement amoureux.
Et j'ai cessé de croire qu'il existait un moyen de faire face au deuil. Il faut simplement se coltiner sa douleur, ce fardeau permanent, et parler ne l'allège pas, ne le soulage pas.
- Je veux être prête avant, dit-elle. Je veux être prête avant le soleil.
Quelqu'un de bien, c'est aussi, quelque part quelqu'un de pas bien, (...) ce que je veux dire, c'est que si tu distingues ce qu'il y a en toi de pas bien et que tu essaies de lutter contre, c'est déjà bien.
- Je croyais que tu... que tu gardais les yeux ouverts ?
- C'est plutôt mon cœur qui est ouvert, répond-il tristement.