– Presque toute l’Angleterre croit que vous m’avez séduite, fit remarquer Diana. De ce point de vue, vous avez un peu de retard, même si cela ne change rien à ma décision : je ne serai pas votre duchesse.
Malgré son sourire, elle était sérieuse. La petite partie du cerveau de North encore capable de penser nota son extrême détermination.
– Je vous veux pour épouse, répondit-il. Moi, c’est vous que j’ai envie d’enlever au milieu de la journée.
Diana laissa retomber ses mains.
– Je sais. Je veux dire… je sais que tel était votre souhait. J’ai beaucoup d’affection pour vous, North. Sincèrement. Mais je ne vous aime pas comme une épouse devrait aimer son mari. Maintenant que ma mère ne régente plus ma vie, j’ai l’intention de me marier par amour ou pas du tout.
Son regard était clair et brillant – d’une honnêteté pleine et entière.
Même si elle n’avait rien dit qu’il ne sût déjà, il eut l’impression de recevoir un coup de poing dans l’estomac, le genre qui mettrait un homme au tapis.
C’était cela l’enfer : aimer une femme au pont d’être prêt à donner sa vie pour elle, et pourtant la laisser partir.
Dante se trompait lorsqu’il plaçait les amants en couple dans son enfer. Qu’y avait-il là d’infernal ? North était prêt à se laisser malmener éternellement dans les tourbillons s’il pouvait tenir la main de Diana, l’aimer, la réconforter, la protéger.
La main de North lui caressa le dos et se posa sur son flanc. Il appuya la tête contre le dossier, submergé par une nouvelle vague de fatigue. Diana entremêla les doigts aux siens et se détendit. Leur intimité présente n’avait rien de sensuelle. De ses doigts fuselés et son corps léger émanait une force qui l’arrimait avec une incroyable solidité à cette chambre. Ce château. Ce moment de paix.
- Toute idylle entre nous appartient désormais au passé....lorsque vous avez rencontré cette poupée créée de toutes pièces par ma mère et la trouviez assez bien pour être duchesse.
Assez bien ? Quel était donc ce tissu de sornettes ? Il l'aimait. Il n'avait jamais cessé de l'aimer, il s'en rendait compte en cet instant.
- Je veux épouser Diana, annonça North. Quand bien même elle ne souhaite pas être duchesse, ajouta-t-il à contrecœur.
Alors que Diana s'apprêtait à répondre, une voix haut perchée s'éleva soudain :
- Si elle veut pas être duchesse, alors il faut pas être duc.
Diana laissa échapper un petit cri stupéfait tandis que lady Knowe lâchait un sonore «bonté divine».
Événement exceptionnel, peut être même unique, tous les Wilde présents gardèrent le silence.
Il accueillit avec soulagement le nuage de poussière qui l’enveloppa. Un officier, gentilhomme de surcroît, pouvait cligner des yeux à cause de la poussière. Jamais pour en chasser une larme.
Une lueur d’incertitude assombrit le visage de Diana. Il effleura sa bouche d’un baiser. Un mariage d’amour, disait-elle. De son point de vue, les tartines au miel étaient une façon de dire « je t’aime ». Faire l’amour en était une autre.
C’était cela l’enfer : aimer une femme au point d’être prêt à donner sa vie pour elle, et pourtant la laisser partir.