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Critique de colimasson


Pour ceux qui en ont marre d'aimer comme des droitiers et d'analyser l'amour à la manière d'un plan de carrière débouchant sur privilèges stricts, reconnaissance sociale et monnaie tapante, Alexandre Jardin imagine une île sur laquelle se réuniraient tous les gauchers sensibles de ce monde. Attention : l'amour libre n'est pas l'amour anarchique. L'humain ne peut pas aimer n'importe comment et nous retrouvons le classique adage : la seule obligation c'est de ne pas en avoir. Les coutumes, les rituels, les droits et les devoirs ne sont pas néfastes en eux-mêmes mais c'est leur utilisation et la limitation des libertés qu'ils impliquent qui gâchent la spontanéité et l'élan pulsionnel primitif qu'Alexandre Jardin imagine dans leur générosité. Sans naïveté, il part d'un constat simple : il faut cesser de vouloir être aimé le mieux possible –ce qui suscite frustration et colère- mais commencer à aimer le mieux possible –le cercle vertueux se met alors en place et engendre des récompenses affectives sans cesse plus gratifiantes. On pourrait craindre de retrouver les mécanismes de calcul avides et égoïstes du monde des droitiers mais les gauchers vont plus loin : d'accords sur la nécessité de jongler avec des axiomes affectifs de base, ils n'intègrent cependant pas les lois affectives de leur île sans avoir parcouru leur démonstration personnelle. Il s'agit moins de règles qualitatives s'interrogeant sur le comment pour aboutir à un résultat universel, que de s'emparer de processus universels pour les adapter quantitativement à ses besoins : combien de partenaires différents dois-je explorer pour mieux savourer mon élu(e) ? combien de personnalités sont en moi ? en l'autre ? combien de distance devons-nous instaurer entre nos matelas respectifs ? combien de temps devons-nous passer dans le silence pour nous réapproprier ? à quelle fréquence dois-je abandonner ma personnalité pour bénéficier des joies d'une escapade en tenue blanche –symbole de liberté dionysiaque et sexuelle ? combien de temps puis-je m'abstenir de toute relation sexuelle avec mon élu(e) ? –cette question se posant, bien sûr, dans l'objectif de redécouvrir le plaisir sensuel et d'accroître la tension jusqu'à son plus délicieux point de rupture.


Les gauchers ne sont pas des manchots ni des analphabètes : ils ont des bras et savent écrire, mais ils le font d'une manière différente de celle des droitiers. Ils ne tiennent pas avidement à leur élu(e) car ils ont cessé de le considérer comme un faire-valoir social ou comme une assurance vieillesse de solidarité. Ils n'ont pas peur de vivre dans la passion exaltante ou douloureuse de la rencontre amoureuse. Ils ne craignent pas de se confronter sans cesse au regard de l'autre et trouvent dans cette joute mentale et psychologique une nourriture de l'âme qui les pousse sans cesse à s'améliorer, à s'enrichir de nouvelles connaissances et à s'instruire de la nature humaine dans sa globalité. L'amour des gauchers n'est pas un amour craintif et revanchard mais ressemble plutôt à l'amour que pourraient éprouver les surhommes, une fois descendus de leurs sommets. Il faut être vigoureux et majestueux, il faut s'aimer soi-même dans la tolérance et la tendresse la plus divine –acceptant ses défauts et les dorlotant pour les transformer en jolis charmes désuets- avant de rencontrer l'autre et de s'essayer à l'amour. Il faut comprendre cette règle fondamentale de l'architecture amoureuse – « davantage de vie de couple et plus de solitude »- avant de s'aventurer sur l'île des gauchers.


Bien sûr que l'histoire gauchère de Lord Cygogne et de son élue Emily se présente avec toute la bancale ossature d'une utopie qui devrait mieux, d'ailleurs, ne jamais être réalisée –ne serait-ce que parce qu'elle n'est accessible qu'à certains hommes dotés d'une certaine forme de pensée. Bien sûr que leur histoire peut susciter rires et moqueries –ceux-ci cachent souvent l'envie. Bien sûr qu'on méprise ceux qui veulent vivre plus facilement, plus légèrement, plus librement. Et pourtant, qui n'aimerait pas vivre, même provisoirement, l'expérience exaltante qu'Alexandre Jardin nous décrit dans son île des gauchers ?
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