À la poursuite d'Olympe

- En route pour la liberté !

- Un jour, tu vas finir au cachot, Victoire, lui souffla Olympe en la rejoignant dans le couloir.
- Tu sais, ce qui m'ennuie au couvent, c'est qu'on y parle que de religion. Quand je serais mère supérieure, tu verras, ça va changer...
- J'espère bien ne plus être là pour le voir, fit tout bas Olympe.

"Nous n'avons pas besoin de vous ! Tiénot a cru bien faire en vous demandant de l'aide...
-Eh, s'interposa Tiénot, l'argousin s'en va !"
Effectivement, Grobois jetait de la monnaie sur la table et se dirigeait vers la sortie. La femme se tassa sur son siège, le regard vide, puis agrippa sa chopine d'une main tremblante pour y boire.
"Elle devrait se faire engager à la Comédie-Française ! fit Nicolas d'un air faussement admiratif. Vous la verriez sans son maquillage !"

- Nicolas est en danger.
- Et voilà ! Je la sauve, je m'attend à des "Lambert mon héros, vous ici" comme dans les romans, et tout ce qu'elle trouve à dire, c'est " Nicolas". C'est à vous dégoûter d'aider les demoiselles en détresse.

- Tiens, fit Céleste, dans la poche, il y a une page de gazette. Dis, Suzelle, tu peux la lire ?
- C'est une page du Mercure galant d'il y a six mois. Cela dit que : "M.Denis Papin, l'illustre physicien, vient de trouver le moyen, grâce à une marmite à vapeur, d'amollir les os et de cuire les viandes en fort peu de temps et à fort peu de frais..." Ensuite il y a la gravure de la marmite.
- J'voudrais ben voir ça, fit Lucie en lui prenant le papier des mains.

Elle tourna et retourna le dessin et déclara en riant.

- Ce bonhomme-là, s'il en fabrique de ces marmites à vapeur, je cours lui en acheter une tout de suite ! Imaginez : quand ça siffle, c'est cuit ! On économise du temps et du bois !
- Exactement, les savants devraient se préoccuper davantage des tâches des femmes. Comme cela, elles auraient plus de temps pour leur famille...
- Ben tiens, se moqua Joséphine Charpe depuis l'autre bord, on pourrait inventer une machine pour... coudre les vêtements....

Lucie rendit le papier à Olympe et poursuivit, au comble de l'hilarité :

- Et des chandelles qui s'allument toutes seules... Et une machine... à laver le linge... !

Les femmes se mirent à hurler de rire.

- A laver ? Et comme qu'elle ferait ta machine pour voir où qu'elles sont les tâches ?

Seule Rosalie Archer ne semblait pas apprécier la boutade. Le mine sombre, elle rappela ses fille sà l'ordre :

- Le jour où on inventera une machine à laver, nous serons sans emploi, mesdames, pensez-y donc ! Vous aurez ensuite tout votre temps pour voir vos gosses crever de faim.

Cela jeta comme un froid. Le progrès pouvait être la meilleure et la pire des choses...

Elle se posta devant le jeune homme, qui, tout sourires, commençait à comprendre, et elle lui lança d'un ton pétillant de malice :
" Eh bien, Lambert, qu'attendez-vous pour m'enlever ? J'ai toujours rêvé de voir la mer ... "

Olympe se releva, sa mantille à la main :
"Vous me parlez d'humilité, père ? s'emporta-t-elle. Alors que cette femme vous transforme en singe savant ! Mère doit s'en retourner dans sa tombe ! A ce propos, pourquoi Emilie porte-t-elle les bijoux de maman ?
- Mais parce que votre père me les a offerts, répliqua hautainement sa belle-mère.
- Cela ne se peut, ma mère me les a légués !
- Taisez-vous Olympe, vous ne savez plus ce que vous dites !" s'écria le conseiller.
Il était rouge de colère, mais avait pourtant l'air coupable. Mais coupable de quoi ?
"Mère me les as légués devant vous sur son lit de mort ! Peut-être est-ce aussi avec ma dot qu'Emilie s'habille si luxueusement ?" demanda Olympe, en touchant enfin au coeur du problème.
Hélas ! son père ne nia pas.
"Vous me sacrifiez donc, père ? ¨Pour lui passer ses caprices ? fit-elle amèrement avant de se retourner vers sa belle-mère. Rendez-moi ces bijoux, madame. Vous ne disposerez de mon héritage que si j'entre en religion !"

Une jeune fille devait connaître les saintes écritures, la broderie et les bonnes manières. Cela suffisait pour devenir une bonne épouse et une bonne mère. Car une femme qui lit et qui réfléchit, c'est bien connu, c'est la porte ouverte à tous les ennuis...On lui avait même expliqué qu'en société elle devrait écrire en faisant des fautes afin de ne pas paraître pédante, qu'elle devrait rire dès qu'un homme lui adresserait la parole.
Belle éducation, en vérité !

- Tu crois que c'est en travaillant comme cela que tu vas être reçu dans la corporation ?
- M'en fiche, j'épouserai une "cent filles".
- Moi vivant, jamais tu ne feras une telle chose. Tu épouseras Bertille Cordoue.
- Elle a un oeil qui dit merde l'autre, et en plus elle est plate comme une planche à pain !
- Non, elle a une coquetterie dans l'oeil et elle est très mince. D'ailleurs quand on doit hériter d'une chapellerie de huit mille livres, on est forcément beau.

Ne trouvez-vous pas cet univers étrange ? demanda Olympe en prenant le bras de Lambert.
L'étiquette est à la fois si rigide et si souple !
On porte des tenues suprêmement élégantes, mais l'on ne se lave pas, l'on crache par terre et l'on s'enivre.
Je peux vous assurer que les lavandières ont de meilleures manières !