Ce livre sur Krishnamurti, sur sa vie, sur sa pensée est à recommander.Il décrit l'évolution de cet homme, depuis son enfance lointaine jusqu'aux derniers jours avec une rare clarté .La traduction est par ailleurs excellente.
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L'année 1956 fut celle du Bouddha Jayanti*, et, à cette occasion, le gouvernement indien invita Sa Sainteté le Dalal Lama à venir visiter les sites sacrés du Bouddhisme. On avait demandé à Apa Sahib Pant, haut fonctionnaire des Affaires étrangères, qui était alors représentant de l'Inde au Sikkim, de l'accompagner pendant son pèlerinage. Ils voyagèrent dans un train climatisé, avec une nombreuse suite.
Chef religieux et temporel du Tibet, le Dalal Lama, âgé alors de vingt ans, était une figure mystérieuse. C'était la première fois qu'il quittait son pays, où seuls quelques lamas l'approchaient et où sa vie était soumise à un strict protocole.
Quand il arriva à Madras en décembre, Apa Sahib Pant avait proposé à cette incarnation vivante du divin de rencontrer Krishnamurti, qui se trouvait à ce moment-là à Vasant Vihar. Apa Sahib lui avait parlé de sa vie et de son enseignement extraordinaire. Le jeune moine s'était écrié : « c'est un Nagarjuna**! » et avait exprimé le vif désir de le connaître. Dans l'entourage du Dalai Lama, on considérait que cette visite était contraire au protocole, mais comme celui-ci avait insisté, la rencontre eut finalement lieu.
Selon les mots d'Apa Sahib, « Krishnaji reçut le Dalai Lama avec une grande simplicité. Nous fûmes stupéfaits de voir une sympathie magnétique s'établir aussitôt entre eux. Le Datai Lama demanda: "En quoi croyezvous?" et une conversation presque par monosyllabes s'engagea ; il y avait une communication entre eux qui se passait de discours. Le jeune Lama se sentait en terrain familier. En rentrant à la résidence du gouverneur, il confiait : "C'est une grande âme, une grande expérience pour moi." Il souhaitait avoir l'occasion de revoir Krishnamurti.
Krishnaji eut la visite d'Anandmai Ma, qui était à ce moment-là la plus célèbre des « Mères » déifiées (ce sont des femmes qui, de leur vivant, ont transcendé le soi et sont devenues l'incarnation de Shakti, la Mère primordiale, qui est l'énergie divine). Ils se rencontrèrent dans le jardin, car la Mère ne pénétrait jamais dans une maison particulière. Elle ne parlait pas anglais, et elle s'exprima avec un interprète. Sa présence était souriante et rayonnante. Elle dit à Krishnamurti que, bien des années auparavant, elle avait vu une photographie de lui et s'était dit qu'il était un être exceptionnel. « Pourquoi ne voulez-vous pas qu'il y ait des gurus ? demanda-t-elle, vous qui êtes le Guru des Gurus... »
« On se sert des gurus comme d'une béquille », répondit-il.
« Les gens viennent par milliers pour vous écouter, insista-t-elle. Cela signifie que vous en êtes un. » Il lui tint doucement la main et ne répondit pas.
De nombreux visiteurs survinrent et se prosternèrent aux pieds de Krishnamurti et d'Anandmai Ma. Celle-ci accepta leur salut, mais Krishnaji était gêné. Comme toujours, il ne permettait pas que l'on s'incline devant lui, mais, se levant d'un bond, il touchait les pieds de celui qui demandait sa bénédiction.
Après le départ d'Anandmai Ma, Krishnaji parla d'elle avec chaleur et affection. Il y avait eu communication entre eux, même si celle-ci avait été en partie muette. Toutefois, il avait été horrifié par les femmes qui l'entouraient, qu'il avait trouvées idolâtres et hystériques.
En Inde, le nom de la plupart des maîtres spirituels est précédé d'un titre comme Maharshi, Acharya, Swami, ou Bhagwan. Krishnaji n'a jamais accepté cette marque de respect. Lorsqu'il parle de lui dans ses dialogues ou son journal intime, il se désigne par la lettre « K », ou bien utilise le « nous » impersonnel pour indiquer l'absence du « Je », l'ego individuel. C'est pourquoi, lorsque je parle de l'homme ou du maître de façon impersonnelle, je le désigne par Krishnamurti ou « K ».
Krishnaji accepta de dialoguer avec moi, et ces dialogues constituent une partie du livre ; leur rédaction repose en grande partie sur les notes que j'ai prises pendant ou aussitôt après ces entretiens. A partir de 1972, certains d'entre eux ont été enregistrés au magnétophone.
A la fin des années cinquante, JIDDU KRISHNAMURTI, ou Krishnaji comme il est appelé en Inde et par ses amis dans le monde entier, me suggéra d'écrire un livre sur sa vie à l'aide des notes que j'avais prises depuis notre première rencontre en 1948. Ce livre a été commencé en 1978. Je me suis efforcée de montrer ce qu'était l'homme et aussi le maître, et de décrire les rapports qu'il a entretenus avec les hommes et les femmes qui ont été ses disciples en Inde. Ce livre est centré sur les séjours de Krishnaji dans ce pays, de 1947 à 1985, mais l'évocation de ses années de jeunesse s'est révélée nécessaire pour aider à comprendre le déroulement de l'histoire du jeune Krishnamurti.
JIDDU KRISHNAMURTI, à ma connaissance, est, à l'exception du Christ, l'homme qui a témoigné le plus d'abnégation. Il est fondamentalement si simple à comprendre qu'on voit bien pourquoi ses mots et ses actes, clairs et directs, ont engendré la confusion. Les hommes répugnent à accepter ce qui est facile à saisir. Je ne l'ai jamais rencontré, et pourtant il n'y a aucun autre homme au monde que j'aurais été aussi honoré de connaître », écrit Henry Miller