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Critique de ODP31


Quand je serai grand, je serai poète.
Esthète, mon grand, ce n'est pas un métier.
A défaut, Cyrille Bertrand, la vingtaine rêveuse et indécise, après des études supérieures (à quoi ?), trime dans les rayons désenchantés d'un Carrefour Market puis au service contentieux chez Salons&Cuisines. Les vers sont dans le fruit.
Son amitié pour un grand bourgeois ambitieux, Ambroise d'Héricourt, lui fait effleurer les cimes de la haute société et du luxe sans lui permettre d'y planter son piolet. le garçon est à la fois attiré par les chimères du modernisme et déchiré par son désir d'écrire de la poésie. Il ne veut pas être un poète maudit, mais un poète riche, plus Valery Larbaud que Rimbaud. Un désuet bling bling.
Par piston et compromission, « notre héros », comme l'appelle l'auteur par hommage à Stendhal, va faire son trou dans le milieu culturel en participant à la création d'un musée de la littérature française, appât à controverses, puis dans la production d'une série TV netflixée, bien loin de ses poésies. La vie devient matériellement confortable, Cyrille goûte au succès, mais son âme étouffe. L'existence est salissante. L'arrivisme qui ne mène à rien.
Dure est la vie des personnages des romans d'apprentissage qui se frottent au monde et se confrontent au déterminisme social. Coups de coeur pour des femmes prises et éprises d'un autre, coups de massue sur la réputation, coups de coude pour se faire une petite place au paradis des lettres, coups tordus au boulot, cou…rage pour ne pas perdre toutes ses illusions. C'est le métier qui rentre.
Ils devraient fonder un mouvement, les Julien Sorel, Pip, Lucien de Rubempré, Candide et consorts et se plaindre contre tous ses auteurs qui douchent l'idéal et savonnent l'ambition dans le dos.
Patrice Jean respecte les codes du genre mais comme dans son précédent roman, l'homme surnuméraire, le récit est l'occasion de fissurer les miroirs flatteurs de l'époque. Carglass répare, Patrice Jean brise la glace. Son oeuvre reprend le flambeau de celle de Philippe Muray par la voie romanesque. Il ne porte pas l'universalisme dans son coeur, les cultureux qui cultivent la bien-pensance lui donnent des boutons à vouloir aseptiser le monde, à juger l'histoire ou à la réécrire pour la rendre présentable. Ses personnages se mettent au diapason au rayon pessimisme. Un vieil universitaire, Trézénik, qui coordonne la création du musée joue dans l'histoire le rôle de l'oracle aigri et du vieux pas très sage. L'auteur lui oppose habilement un intellectuel télégénique qui surfe sur les vagues en vogue de la repentance et de la moraline. le fameux « mutin de Panurge » de Muray. Les autres protagonistes, plus ancrés dans le quotidien, permettent de ne pas sombrer dans un simple débat d'idées. L'histoire vit, nous transporte à Naples et dans toutes les couches de la société.
En ces temps où le moindre pas de côté devient une polémique, j'ai apprécié ce récit à contre- courant, courageux et résistant qui ne s'interdit pas grand-chose tout en conservant une vraie verve romanesque. Ce qui m'a séduit également, ce sont les ambigüités des personnages qui permettent d'éviter à l'histoire de tomber dans le pamphlet. Certes, la lecture est lente, les tergiversations du héros parfois agaçantes et ses passions amoureuses parfois ennuyeuses, mais le style est vif, les aphorismes pullulent et tout le monde en prend pour son matricule.
La nostalgie des poètes disparus.
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