AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Emmanuel_55


«Qu'a-t-on si longtemps cherché dans les mythes, qu'y cherche-t-on encore qui changerait la vie ? ». A cette question posée à la fin du premier chapitre, Lucien Jerphagnon répond avec simplicité.

Espérons que cette présentation vous incitera à lire cet ouvrage qui se révèle touchant lorsque l'auteur parle à la première personne.

Aujourd'hui mythe signifie fable pour enfants. « Mais faut-il pour autant faire bon marché de l'intelligence de nos lointains ancêtres ? ». Si nous sommes condescendants envers les grecs, combien plus le sommes-nous avec les « premiers hommes » et avec ce que nous imaginons de leurs mythes bien que leur monde mental nous échappe à peu près complètement.

Lucien Jerphagnon s'interroge: on a pu dire en biologie que l'ontogenèse reflète la phylogenèse, c'est-à-dire que l'embryon au cours de son développement revit l'histoire des espèces qui l'ont précédé dans sa lignée évolutive; les peurs et les émotions enfantines sont-elles alors celles de l'aube de l'humanité ? Prenant ce pari, il nous fait le récit de sa première émotion d'enfant face à une nature terriblement menaçante et à partir de cette expérience s'interroge sur ce qui a pu conduire les premiers hommes à mettre en ordre leur monde.

Les débuts de la civilisation coïncident avec la mise par écrit des mythes. Ceux-ci évolueront avec les sociétés : « Il n'y a pas de mythe en soi, pas plus qu'il n'y a d'homme avec une majuscule ».

Les Hébreux considéraient leur dieu comme un dieu parmi les autres, mais c'était le leur, il ne devint Dieu unique qu'au VIe siècle avant notre ère. Ce qui tranche singulièrement avec le monde romain où il y a autant de dieux que de métiers différents: « les hommes auront décidément fait les dieux à leur image et ressemblance ! ». le destin des hommes, juste ou injuste, est entre les mains des dieux et c'est une consolation, jusque dans la mort.

Malgré la philosophie, malgré les moqueries, les mythes des Grecs et des Romains survivront encore quelque temps au christianisme; étaient-ils indulgents avec leurs mythes parce qu'ils savaient comme Plutarque que « le mythe est le reflet de quelque tradition véridique? ». Toujours est-il que le mythe pouvait désormais être étudié de manière allégorique. L. Jerphagnon s'amuse de la façon dont les mythes ont été employés pour servir les causes les plus diverses, « on ne prête qu'aux riches », dit-il à propos d'Homère. de Philon d'Alexandrie aux Nouveau Testament, la Bible sera elle aussi l'objet de nombreuses exégèses en langue grecque. Un paragraphe est consacré à un intéressant personnage, Saloustios , qui mit de l'ordre dans les mythes en les répartissant en catégories.

On voit bien qu'au sein du monde antique il n'y a pas de regard unique sur les mythes, ce regard dépend du lieu, de l'époque et de la personne. Un chapitre est consacré à ce regard changeant; nous y découvrons, grâce à Lucien Jerphagnon, la théologie tripartite de Marcus Varron: c'est très intéressant et c'est à la page 118. À travers le rappel de quelques mythes nous constatons que, même considérés en tant que fable, ceux-ci véhiculent des messages qui sont reçus pas les populations, comme un enseignement sur les rapports avec les dieux, la morale et parfois la politique.

Nous avons oublié à quel point l'antiquité était habitée par le merveilleux, les présages et les signes de toutes sortes. L. Jerphagnon nous apprend que, dans son Histoire, Amien Marcellin relate le cas de manche à balai fleurissant dans un placard, signes de la future promotion de modestes fonctionnaires ; il faut aussi mentionner aussi l'hilarante résurrection du poulet qui figurait au menu du repas de Jésus et ses disciples que l'on trouve dans le Livre de la résurrection, attribué à Barthélémy. Cette présence du merveilleux jusque dans les récits d'historiens, est surprenante pour le lecteur moderne .

Dans le chapitre intitulé « ce que parler veut dire » Lucien Jerphagnon essaie de nous faire comprendre cette mentalité antique si étrangère à la notre, où dans un contexte polythéistes , pour le peuple, « les dieux n'étaient jamais bien loin ». de ceux qui sacrifiaient au Dieu il nous dit:
« Ils avaient pour un instant laissa l'égocentrisme, l'auto-suffisance qui est l'état ordinaire de l'être humain...il y avait une présence , une proximité de la toute-puissance céleste... »

Mais les grecs ne situaient pas les personnages des mythes « sur le même plan de réalité que ce qui se passait chez leur voisin ...ils savaient...que le chien à qui ils donnaient un os n'aurait jamais qu'une tête». Plus loin, il parle de »coexistence pacifique du mythe et de la raison ». Lorsque la raison s'emparera du mythe cela donnera une drôle de chimère: la théologie: « Lâchez la logique dans le champ du mythique, vous ne l'arrêterez plus ». L'un des passages les plus drôle du livre (p.193) est constitué par les divagations biologico-théologiques d'un ecclésiastique romain sur la fécondation de la Vierge-Marie par le Saint-Esprit , que Lucien Jerphagnon qualifie de « gynécologie transcendantale ».

De nos jours si la raison laisse le mythe tranquille c'est qu'elle l'a tout simplement mis de côté. On n'est jamais à l'abri du scientisme, du « syndrôme de Homais » (l'apothicaire pédant de Mme Bovary).

« Pour l'instant nul n'a jamais répondu de manière satisfaisante à la question des questions, celle que posait Leibnitz: pourquoi diable y a-t-il quelque chose plutôt que rien? ». Cette question s'est imposée à Lucien Jerphagnon lorsqu'il avait quatre ans au cours d'une expérience de « présence » que beaucoup d'hommes ont connu mais pas forcément aussi précocement, qui est très joliment décrite par l'auteur p. 204, et devrait toucher les lecteurs qui s'y reconnaitront. « J'étais sans le savoir dans la situation d'un sans-papier au pays de la métaphysique ».

L'ouvrage se conclut sur la tristesse de la condition de 'homme moderne privé des mythes qui pourraient l'aider à vivre, mais voué au culte du veau d'or et des machines.
Commenter  J’apprécie          30



Ont apprécié cette critique (2)voir plus




{* *}