J'ai reconnu ce regard que souvent je n'avais fait que sentir, ce regard des dîners de famille, quand on me disait quelque chose qui pouvait me blesser – alors elle me scrutait en silence, elle surveillait mes infimes réactions avec inquiétude.
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Oscar est mort parce que je l’ai regardé mourir, sans bouger. Il est mort étranglé par les cordes d’une balançoire, comme les enfants dans les faits divers. Oscar n’était pas un enfant. On ne meurt pas comme cela sans le faire exprès, à dix-sept ans. On se serre le cou pour éprouver quelque chose. Peut-être cherchait-il une nouvelle façon de jouir. Après tout nous étions tous ici pour jouir. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas bougé.
Tout était triste et lent ce dimanche. Le sol était détrempé, boueux, couvert de flaques et de petits ruisseaux. Les campeurs creusaient des rigoles, étendaient leurs affaires sous le soleil disparu. C'était une défaite générale. Les tubes de crème solaire et les matelas gisaient. Tout gisait dans la grisaille.
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Quand tu parles de musique, tes yeux changent, on a l'impression que tout va mieux.
Il m’a paru évident qu’Oscar devait disparaître. Je n’ai pas réfléchi davantage. J’ai senti, peut-être, que c’était cela la vraie bêtise, mais je l’ai faite, pour faire quelque chose. J’ai saisi ses jambes. Il n’était pas si lourd. Je l’ai traîné. Nous avons progressé lentement, d’abord dans le parc, puis sur les graviers d’une allée, sur l’herbe d’un emplacement vide, sur une fine couche de sable. Le bruit du corps variait selon la surface. Je me concentrais sur mes gestes pour ne pas songer à autre chose, ne pas savoir ce que signifiaient ces instants. Je traînais un corps, simplement. Avant la dune, j’ai fait une petite pause. Tout était calme. Oscar était si calme. L’air était plus frais, presque agréable. Ce devait être le beau milieu de la nuit. Nous avons grimpé plus lentement encore, nous enfonçant dans le sable, nous accrochant aux chardons. Beaucoup s’y blessaient en courant pieds nus. Enfin, la plage est apparue. Elle était déserte, jonchée de déchets qu’il faudrait balayer le lendemain. Je me suis dit que je pourrais laisser Oscar dans l’eau pour que le ressac l’emmène. Mais la mer était trop basse. Un long chemin me séparait d’elle et j’étais déjà essoufflé. Je m’en suis tenu au trou. J’ai lâché Oscar, j’ai parcouru la dune et je l’ai trouvé sans peine, près du drapeau de baignade. Il n’était pas assez grand. Je me suis accroupi et je l’ai élargi aux dimensions d’un adolescent. Je n’aimais pas le contact du sable qui rentrait sous les ongles et faisait crisser la peau, mais je m’y suis confronté cette fois sans manières, à grands mouvements de bras volontaires. Quand j’ai été satisfait, je suis retourné chercher Oscar. Je l’ai amené jusqu’au trou et je l’y ai fait entrer, les jambes pliées sur le côté. Son visage était sale, plein de poussière. Je l’ai nettoyé du bout des doigts. Puis j’ai rejeté du sable dessus et sur tout son corps également. Cela m’a pris beaucoup de temps. Je ne pensais à rien. J’écoutais mon souffle et le bruit des vagues.
Enfin le trou n’a plus été que du sable, et Oscar, sous terre, a pesé moins lourd. Il a même disparu un peu. Je me suis redressé et j’ai regardé le ciel clair. Une petite musique s’est élevée dans les airs. J’ai compris que le bruit venait d’en dessous. Je me suis remis à genoux et j’ai creusé, défaisant tout mon travail. C’était bien enterré. La musique tournait en boucle. J’ai fini par atteindre Oscar – son téléphone sonnait dans son maillot : Luce appelle. Je l’ai éteint et fourré dans ma poche. Personne ne l’avait entendu. Tous les gens étaient loin. J’ai repris mon souffle et j’ai rebouché le trou, aussi soigneusement que la première fois.
Oscar est mort parce que je l'ai regardé mourir, sans bouger. Il est mort étranglé par les cordes d'une balançoire, comme les enfants dans les faits divers. Oscar n'était pas un enfant. On ne meurt pas comme cela sans le faire exprès, à dix-sept ans. On serre le cou pour éprouver quelque chose. Peut-être cherchait-il une nouvelle façon de jouir. Après tout nous étions tous ici pour jouir. Quoi qu'il en soit, je n'ai pas bougé. Tout en a découlé. p. 9
Il n'y avait plus qu'Oscar. Il cadavrait comme une eau stagne tout contre moi. Il me collait à la peau. Par moments, je ne savais plus depuis combien de temps il était mort, depuis combien de jours je le traînais avec moi dans les allées. Et puis, n'étais-je pas déjà coupable bien avant l'instant de sa mort ? N'avais-je déjà pressenti dès l'enfance que tout m'emmenait vers cette histoire. Rien n'était nouveau.
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Oscar est mort parce qu'il a voulu mourir, parce qu'il était triste et qu'il a eu l'idée de s'enrouler les cordes autour du cou pour que quelque chose advienne. Oscar est mort à cause de ceux qui ne l'ont pas compris. Oscar est mort à cause de moi qui n'ai pas bougé, et je n'ai pas bougé car à cet instant je ne pouvais pas, je préférais mourir, comme lui, et nous nous sommes regardés mourir l'un l'autre, pendant que les autres dansaient.
- Tu te protèges bien, Léo ?
- Oui.
- Je veux dire : tu mets de la crème ?
- Oui.
J'ai quitté la dune et j'ai tourné dans le camping pendant une heure, peut-être plus. Je remuais les lèvres sans parler . Les gens m'esquivaient. Le son des haut-parleurs était plus fort qu'avant. Je fermais les yeux pour moins entendre la musique, qui se réverbérait sur les corps et les tentes comme la lumière sur les corps des allées.