Harald Jähner aborde la seconde guerre mondiale sous un angle inattendu, son livre commence là où se terminent les récits d'histoire : la victoire des Alliés. le point zéro pour les Allemands, ou le temps des loups qui voit la communauté du peuple, la Volksgermeinschaft, se dissoudre quasi instantanément avec l'entrée des vainqueurs dans Berlin.
Consacrant son étude à cet entre-temps chaotique qui précède le miracle économique des années 1950, le journaliste s'intéresse moins à l'étude des décisions politiques sur la Constitution ou aux prémices de la guerre froide qu'à la vie quotidienne des allemands qu'il sonde dans toutes ses dimensions. Avec une approche thématique, il scrute l'histoire à travers des récits à la première personne, des articles des correspondances des journaux intimes, fournissant un aperçu densément documenté de la mentalité allemande d'après-guerre.
L'ouvrage est surprenant, il déploie un panorama dans des directions singulières grâce à un travail d'enquête qui investit tous les présupposés analytiques. L'après-guerre allemand n'a pas le visage qu'on pourrait lui prêter, là où on en envisage un profond désespoir on découvre un appétit pour la vie culturelle, une passion intellectuelle nouvelle alors que le pays est en proie à une atomisation sociale, les clivages intra-allemands nés des grandes migrations des déplacés et des prisonniers libérés faisant craindre une guerre civile.
Là où l'économie de pénurie engage le pays dans l'incertitude et l'anarchie, on découvre qu'elle devient la base d'un nouveau contrat social avec un marché noir comme ciment pour une société de compromis.
Le livre est captivant, d'abord parce qu'il démontre une « rééducation » de la société civile ordinaire bien plus influencée par la pratique sociale et les contraintes de la vie quotidienne que par les discours et politiques des forces occupantes. Ensuite parce qu'il piège les paradoxes de la psyché collective et interroge les ambiguïtés des vaincus qui, malgré leur adhésion au national-socialisme pendant douze ans, sont convaincus d'avoir été victimes du Reich.
Fort de son approche empirique, ce livre est remarquable avec une construction dynamique qui commence par le visible (les villes en ruine) pour aboutit à l'invisible (les limites de l'examen de conscience). On a le sentiment d'avoir sous les yeux un panorama vivant.
Même si l'ouvrage se concentre sur l'Allemagne de l'Ouest, il permet d'épingler les grandes illusions que l'on peut se faire sur cette époque.
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