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Critique de Charybde2


Premier roman disponible en français du sombre magicien Jirgl. Choc et effroi.

Publié en 2003, traduit en 2007 par Martine Rémon chez Quidam Editeur, le neuvième roman de l'ex-Est-Allemand Reinhard Jirgl est aussi son premier devenu disponible en français.

Très réputé outre-Rhin pour ses redoutables innovations formelles et pour sa détermination sans faille dans le fouaillement des zones sombres de l'histoire contemporaine allemande, Jirgl suit dans "Les inachevés" le destin d'une famille expulsée des Sudètes en 1945, d'abord réfugiée, de trains bondés innommables en charrettes à bras épuisantes, avant de se "réimplanter" - si l'on ose dire, à la lecture - dans une campagne puis une petite ville de l'Allemagne communiste : une grand-mère, ses deux filles dans la force de l'âge au moment de l'exode, une petite-fille délurée et enfin l'enfant de celle-ci qui, tardivement révélé comme narrateur, libraire hospitalisé écrivant depuis sont lit, peut naturellement faire figure d'un double pas nécessairement totalement imaginaire de l'écrivain.

Sublime noirceur : l'auteur explore bien, comme il l'a parfois confessé, de nouvelles facettes de ce qui fait de l'homme un loup pour l'homme, et la subtilité de son écriture est à la hauteur nécessaire des ambiguïtés morales de ses "leçons de choses"... Réfugiés jadis oppresseurs inconscients, renvoyés à d'abjectes réalités, auxquelles ils se plient avec une morbide complaisance, victimes complices objectives de leurs bourreaux, inscriptions sociales qui ne peuvent être dépassées ou déplacées que dans le temps long, voire très long, lorsqu'elles le sont, innombrables ironies du "sort" (ici habillage commode et résigné de volontés trop souvent absentes)... : ce faisceau complexe de nécessités et d'écrasements est servi par une langue incroyable, prouesse d'écriture comme de traduction, difficile à rendre à l'oral avec ses points d'exclamation servant de marqueurs liminaires à certains mots, ses expressions toutes faites suivies à la trace de leurs nombreux traits d'union, ses mots trafiqués comme autant de valises prêtes à répandre leurs contenus malsains si l'on n'y prend garde, marquant à chaque instant à quel point le malheur, l'oppression et la trace sociale peuvent être intériorisées comme la plus efficace de toutes les prisons, ou reflétant au fond bien fidèlement la pensée devenue ou restée si rudimentaire de leurs utilisateurs... Appliquée au "réfugié" du monde, cette volonté de se "couler" à tout prix dans ce que l'acteur croit être son moule n'est ainsi pas à ce point éloignée du propos d'un Philippe Annocque dans son "Liquide", chez le même éditeur.

En prime, une courte mais intense préface de Martine Rémon qui souligne la parenté reconnue de Jirgl avec Arno Schmidt.

Précipitez-vous, mais sachez que vous ne ressortirez sans doute pas totalement indemnes de ce voyage, même une fois sorti de l'époque de durant-le-convoi.
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