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Critique de mosaique92


«Mon roman se passe loin des mosquées, mais près des êtres humains réels.» Voilà un excellent résumé fait par l'auteur de ce beau roman. Car, contrairement à ce que pourrait suggérer le titre, ce roman n'est pas basé sur la religion…
«Quand j'ai commencé à écrire le livre, je pensais écrire sur des gens à côté desquels nous vivons sans peut-être vraiment nous soucier d'eux, des personnes avec lesquelles on peut avoir une bonne relation mais qui sont d'une autre culture que la nôtre. Je pensais que pour illustrer mon roman, un mariage serait intéressant. Cela m'intriguait de savoir comment aujourd'hui une jeune femme peut accepter un mariage arrangé, comment un jeune homme peut se dire qu'il ne va pas vivre à l'occidentale, qu'il va respecter la tradition» (interview de l'auteur)

Mais voilà… l'auteur propose et les personnages disposent ! «Quand je commence un roman, je n'ai qu'une vue absolument superficielle de mes personnages, de leurs actions. Je les imagine, j'avoue, souvent de façon très caricaturale. Et très rapidement évidemment, en réfléchissant à la manière dont les personnages (qui sont des êtres humains comme vous et moi!) peuvent agir dans les situations dans lesquelles on les met, on s'aperçoit qu'on est souvent victimes d'idées tout faites, d'a priori» (interview de l'auteur)

René, l'un des protagonistes, se trouve embarqué ‘'à l'insu de son plein gré'' dans des situations de plus en plus inextricables face à un communauté qu'il connaît très peu. Comme lui, le lecteur se trouve plongé dans cette communauté turque constituée de membres exilés en Allemagne et en Belgique et de membres restés en Turquie. On y trouve de tout : femmes soumises, tenants des traditions, affranchis des traditions et de la religion, rebelles contre ces mêmes traditions et religion, intégristes, extrémistes, etc… L'auteur a manifestement une solide connaissance de ces milieux : traditions, mariages arrangés qui transforment assez souvent la femme en esclave, crimes d'honneur dont il fait ressortir l'absurdité, et j'en passe…
Dans cette communauté turque, les femmes, malgré les apparences, sont souvent plus fortes que les hommes, baudruches s'appuyant sans réflexion mais avec inflexibilité sur des traditions ou une religion dévoyée pour maintenir femmes et enfants sous le joug ; ceux qui échappent à ces stéréotypes se montrent plutôt lâches. Mais ce n'est ni un parti-pris, ni un jugement de l'auteur. Les traditions et la religion ont de bons côtés (permettre de ne pas se sentir isolé lorsqu'on émigre) et de mauvais côtés (lorsqu'elles servent à asservir et tuer). Les femmes ont un combat beaucoup plus louable : conquérir respect, liberté et dignité.

Il y a quatre narrateurs dans ce roman choral. J'ai beaucoup aimé René, empathique, sage et très humain, maniant la dérision avec brio (paradoxal avec sa profession de croque-mort !) dans des situations où il est de plus en plus englué ; il ne juge jamais. J'ai moins aimé les autres personnages : Evren, gentil, mais qui se laisse manoeuvrer par tout le monde (sa famille, la femme dont il est amoureux, puis la femme qu'il épouse) ; Darya, sa cousine dont il est amoureux, qui, par rébellion, intransigeance et égoïsme, va faire beaucoup de ravages ; Yasemin, la femme qu'il épouse et qui le manipule, tellement entière qu'elle va aussi causer des ravages (ces deux dernières ont quelques circonstances atténuantes car elles ne sont que des porte-sexe –propos de l'une d'entre elles- aux yeux des hommes de leur communauté, y compris leurs pères et frères).
Leurs regards croisés sur les évènements alimentent l'intrigue (un genre de puzzle) et, rapidement, on est happé et on ne peut plus lâcher le livre tant s'enchaînent d'événements sur lesquels aucun des personnages n'a plus vraiment le contrôle. Un style simple et juste, de la subtilité, de la légèreté malgré la gravité du thème et une histoire construite avec maestria, voire machiavélisme, y contribuent grandement.

J'ai bien aimé la fin, ouverte et ingénieuse, en boucle avec le début du livre.

Profond et drôle, polar par certaines situations, histoire s'apparentant à une tragédie antique, c'est aussi un roman sur la rencontre des cultures, une belle leçon de tolérance comme le dit l'auteur : «Chaque voyage dans des cultures qui ne sont pas directement la mienne me fait découvrir comment on reste finalement tous les mêmes êtres humains avec les mêmes désirs, les mêmes aspirations au bonheur.»

PS1 – Je n'avais jamais lu de romans de cet auteur. Coup d'essai = coup de maître ; je vais aller piocher dans sa bibliographie…

PS2 – Après avoir lu ce roman, on imagine ce que représente pour les femmes turques le retour en force de la Turquie, sous la férule de Recep Tayyip Erdogan, vers la religion islamique et les traditions s'y référant souvent à tort…
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