Citations sur Loin des mosquées (59)
Ma mère était opprimée, mais elle ne savait pas si elle devait se ranger avec moi dans le camp des opprimés.
Quoi qu'on en pense, même pour les persécutés, le camp le plus séduisant, c'est celui du plus fort.
Oui, cette ânerie, je l'ai écrite telle quelle. Toutes les lettres d'amour sont ridicules. On le sait en prenant la plume, sinon on n'écrit pas ce genre de lettre. La mienne était un chef-d'œuvre.
Forcément le potentiel de clients est plus élevé dans une maison de retraite que dans une maternité. A la fin du séjour, ce sont les familles qui décident de l'établissement de pompes funèbres à contacter, sauf si le défunt a laissé des instructions. S'il n'y en a pas la directrice peut encore conseiller.
L'amour est la pire illusion du mariage. Quand la lampe est éteinte, toutes les femmes sont les mêmes, disait ma mère.
Nous avons donc préféré solliciter un autre mariage dans la famille de ma femme, sans risque pour notre fils. L'affaire est faite. Qui hésite entre deux mosquées retourne sans avoir prié.
Au premier coup d’oeil [lors de ma naissance], mes parents ont décidé que je ne ferais jamais dans la dentelle. Un destin de bousilleur s’ouvrait devant moi.
Les enfants comprennent vite ce qu’on attend d’eux. Pour se faire aimer, ils sentent qu’il ne faut pas contrarier l’infaillible intuition des parents. « Mon petit brise-tout ! », disait ma mère en me câlinant, les yeux débordant d’indulgence. Je ne pouvais pas la décevoir. Je suis devenu l’empoté de la nichée. Il en fallait un.
Elle aussi voulait rester discrète. Ma profession, comme de juste, l'intriguait. Comment cela s'appelait-il en francais ? Je ne voulais pas lui répondre "croque-mort". Cette morsure mystérieuse m'embarassait. Alors, j'ai dit "passeur".
"Passeur ?
-- Oui, je fais passer les morts d'un monde à l'autre. Comme Charon. Tu connais Charon ?
-- Oui.
-- Tu l'as remarqué sur le mur du salon funéraire ? Eh bien, tu vois, je fais comme lui, j'emmène les gens vers une autre vie, pas forcément pire que celle-ci. Ce n'est pas un mauvais métier."
Je ne sais pas si la fiancée d'Evren a pleuré le samedi soir. Je ne crois pas. Il m'a suffi le lendemain de rencontrer son regard pour la première fois pour comprendre que ce n'était pas son genre. Je pense qu'elle est restée bien droite sur sa chaise, ses paumes teintées de rouge percées de leur cible blanche reposant sur ses cuisses, le visage tendu, sauvage, comme toujours. Elle a laissé les autres se lamenter sans ciller, devinant fort bien qu'elles pleuraient sur elles-mêmes au souvenir de tout ce qu'elles avaient perdu avant de plier l'échine sous le joug du mariage. Cette affliction, elle s'était juré, j'en suis sûr, de ne jamais la connaître. Le mariage était arrangé sans doute, mais ce qui brillait dans ses yeux ne ferait jamais l'objet d'aucun arrangement.
Tu vois ce que c'est, le baslik ?
- Non, je ne connais rien à vos histoires.
- C'est la somme que la famille du marié verse au père de la mariée - au père, pas à toi - pour le dédommager de sa perte. Le prix de vente, Derya ! Ils nous vendent comme des bêtes de somme.
- Pas ici ! Pas en Allemagne !
- Et pourquoi pas ? Ce sont nos traditions.
J'étais toujours au fond de la classe. En fait, j'observais. Je m'indignais intérieurement que des blancs-becs qui n'écoutaient même pas interrompent les maîtres pour poser des questions stupides.
" Le sage ne dit pas ce qu'il sait et le sot ne sait pas ce qu'il dit " : autre sentence de ma mère.