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Critique de batlamb


Le palais des rêves, c'est l'oniromancie totalitaire d'un empire ottoman revisité. Dans cette Anatolie semi-imaginaire, à l'orée du vingtième siècle, la loi force les citoyens à noter leurs rêves sur papier et à les envoyer à une administration omnipotente, chargée de classer, sélectionner, décrypter et utiliser ces rêves à des fins politiques, bref à les dé-rêver pourrait-on dire.

Et au coeur de ce dé-rêve, nous suivons la dérive de Mark-Alem, membre de la prestigieuse famille albanaise des Quprili. Nouvelle recrue du palais, ce drôle d'oiseau de nuit froufroute à travers une obscurité onirique et kafkaïenne. En ce lieu, on perd sa conscience. Et même la réapparition tardive de la lumière du printemps ne peut éclairer qu'un faux triomphe.

Regorgeant de rêves extorqués aux autres, ce palais oscille, vacille, souvent près de tomber dans le fantastique. le roman baigne dans une pénombre chancelante dont les moindres manifestations sont sources d'angoisse, comme l'annonce d'une imminente catabase. Les faibles touches de clarté (flocons de neige, chandelles et brasero) qui émaillent les descriptions, n'indiquent nulle issue réelle dans ce palais labyrinthique. Elles entraînent plutôt vers la perdition, à l'instar des feux follets, car elles évoquent les rêves capturés, voire les âmes victimes de ce régime fondé sur la violence. C'est ce que soulignent les comparaisons effectuées dans le chapitre central situé dans les profondeurs des archives du palais, tel un sommeil paradoxal où se révèlent les traumatismes originels unissant l'Empire Ottoman et la famille des Quprili dans une histoire funeste.

Paradoxal, ce rêve fictionnel l'est certainement, puisque j'ai du mal à imaginer une description plus concrète et réaliste du climat de peur qui règne dans les États totalitaires où chacun est suspendu à des décisions arbitraires et se retrouve réduit à l'état de fantôme dans la machine. Une machine dont chacun alimente la terrible logique grâce à des projections paranoïaques, des cauchemars qui paralysent toute velléité de révolte (chez les masses) et encouragent les actes irrationnels (chez les dirigeants). Les cauchemars sont le fondement du Palais des rêves.

Mais tout autant qu'un inconscient collectif des peuples opprimés, ce palais correspond aussi à un autoportrait ironique de l'auteur. Comment travaille un artiste, sinon à partir de ses rêves, qu'il doit un tant soit peu soumettre au filtre de la raison et sélectionner pour en faire des « maîtres-rêves » capables de secouer le monde éveillé ? Dans les lumières vacillantes de ce palais en clair-obscur, Ismaïl Kadaré confère ainsi à l'art toute sa portée poétique et politique.
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