AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de SZRAMOWO


J'ai reçu Conversation de Tadeusz Kantor à l'occasion de la dernière opération masse critique. Une surprise. Cette édition a été réalisée à l'occasion du centième anniversaire de sa naissance. Il s'agit de la conversation à bâtons rompus entre l'artiste et Mieczysław Porębski, quatre entretiens enregistrés les 5 et 8 décembre 1989 et les 30 et 31 janvier 1990.
Ces entretiens font partie d'un ouvrage publié en 1997 par Mieczysław Porębski « la planche. Tadeusz Kantor », un défi lancé au critique d'art par Kantor, lui demandant d'écrire un ouvrage sur l'objet le plus simple de la création, la planche.
Les interlocuteurs, amis de longue date, se plongent dans leurs souvenirs et partagent leurs réflexions sur la peinture, le théâtre, la littérature, dans le contexte polonais et universel.
Un ouvrage plutôt difficile à lire en raison des clins d'oeil, « private jokes » et autres facéties, entre amis, qui peuvent laisser de glace les témoins passifs.
Les moments marquants du livre :
- Les créations de Kantor ont été imposées par lui dans un contexte de glaciation de la création artistique en Pologne, ce qui démontre sa pugnacité et sa ténacité.
« On me demande à l'étranger pourquoi restez-vous là-bas ? Alors je réponds : quand on se trouve à l'intérieur d'une réalité, on a vis-à-vis d'elle un rapport tout à fait différent de quelqu'un qui se trouve à l'extérieur. Moi – au milieu des communistes- je les détestais tous. »
- Son oeuvre s'inspire de l'histoire de la Pologne anéantie par le nazisme puis contrainte sous le joug communiste. Il précise au cours des entretiens que le non-respect de la mémoire est à l'origine des crises de civilisation.
A cette époque, j'avais une planque à Kazimierz, dans l'atelier théâtral rue Kupa. (………………) Alors il (Grajewski) vient chez moi et dit : «Barrez-vous il y a un type qui veut vous voir. Mais il était déjà trop tard, l'autre était déjà entré. »
- le nom qu'il donne à son théâtre Cricot - palindrome de to cyrk (c'est le cirque, en polonais) -montre, outre sa pugnacité son sens de l'humour et de la dérision.
- Kantor faisaient des emballages d'objets bien avant que l'on nous bassine avec le génie de Christo présenté de façon unanime comme le premier emballeur de l'humanité. Chez Kantor l'emballage prend une signification précise, il est synonyme de mort, de silence imposé, de fin.
« Après il y avait l'affaire Christo. Un journaliste a écrit que j'avais emprunté les emballages à Christo. Ahrenberg voulait même m'intenter un procès. »
- « La réalité dégradé » précise Kantor, pour lui l'occupation nazie puis le stalinisme en Pologne, est source de prise de conscience, ainsi sous les emballages on devine une réalité suggérée, alors que l'on a sous les yeux quelque chose d'informe et d'innommable.
« MP : Eh bien, oui. du temps d' »Ulysse », nous étions tous la « réalité du rang le plus bas ». Ce qui est resté et ce dont nous nous souvenons. Presque de manière palpable.
TK : Il fallait tout ramener à cette pauvreté. Je l'ai bien précisé en formulant mes instructions pour « Ulysse ». Pour l'art, c'est la pauvreté qui est la plus signifiante, non la richesse. Même s'il y a des tableaux riches, ils sont très pauvres à l'intérieur. »
« On ne peut parler de mon théâtre sans donner l'image de cette époque inhumaine. Guerre mondiale, dieux meurtriers, camps d'extermination, assujettissement, génocides comme idéologie dominante, et plus tard, pouvoir entre les mains d'hommes aux statuts intouchables des premiers secrétaires, qui faisaient montre d'un primitivisme sans bornes et cela pendant un demi-siècle, au vu et au su du monde entier, civilisé et totalement indifférent. »
- Kantor est « passé » au théâtre, art en mouvement, pour s'affranchir du côté figé et définitif de la peinture. Il admet avoir été admiratif de ces tableaux classiques qui suggèrent le mouvement notamment les Torches de Néron de Henryk Siemiradzki : (http://www.mediterranees.net/romans/quo_vadis/III_21.html)
« Eh bien, j'ai commencé à peindre au collège sous l'influence (il rit) des « torches de Néron. »
« Je me promenais alors dans le rue Krakowska à Tarnów – il y avait pas mal d'animation là-bas – et je me demandais comment faire un tableau avec du mouvement. »
- Une partie de la conversation est consacrée à l'histoire de l'art et à sa dimension idéologique, les deux interlocuteurs s'accordent sur la nécessité d'écrire une nouvelle l'histoire de l'art qui prenne en compte autre chose que « l'esthétique pure ». Les deux hommes regrettent que la vision occidentale de l'art polonais, par exemple, s'arrête à cette dimension esthétique sans prendre en compte la réalité dans laquelle ces oeuvres ont été créées.
« C'est pourquoi, selon moi, il faudrait réécrire l'histoire de l'art. (………….) L'important n'est pas la source où l'on puise. Ce qui est important, ce sont les causes et il est évident que là, nous avions des situations extraordinaires, je le répète, des situations extraordinaires. »
En réponse à une question sur une filiation possible avec les tableaux de Marcel Duchamp :
« Oui, en effet, mais c'était en Suisse, aux Etats-Unis, dans des endroits où il n'y avait pas de danger, n'est-ce pas ? »
Conclusion :
Un livre difficile à lire mais dont je ne regrette pas de l'avoir lu, poussé par mon obligation vis-à-vis de masse critique.
À conseiller ?
Jetez-y un oeil si vous en avez l'occasion. Ce recueil des 4 conversations a le mérite de nous faire toucher du doigt une réalité d'un pays proche de la France, que nous avons abandonné en 1945, mais qui a continué à vivre (ce que nous ignorons souvent) en développant ses propres concepts artistiques qui sont loin de la perception que nous en avions.
Ainsi, Kantor, en réaction à l'exposition de 1983 à Beaubourg, intitulée « Présences polonaises » répond que pour lui cette exposition aurait dû s'appeler « Absences polonaises » tant ce qui y était exposé et la façon dont cela était présenté, ne correspondait en rien avec la réalité de l'art polonais.

Lien : http://desecrits.blog.lemond..
Commenter  J’apprécie          90



Ont apprécié cette critique (8)voir plus




{* *}