Elle aurait voulu pouvoir remplir un colis avec toutes les phrases qu'il lui avait dites, retour à l'envoyeur, mais c'est exactement le contraire qui s'était produit : les cours du lycée français avaient commencé, et elle avait dû, plusieurs fois par semaine, tracer son chemin dans la langue anglaise qu'il lui avait enseignée, utiliser les structures de phrases qu'il lui avait apprises, penser dans cet idiome et errer sans issue dans le territoire ravagé de leur passion.
C'était comme si son enfance avait été effacée, mais seulement en partie, comme une photographie brûlée à la flamme d'une bougie à des endroits précis, avec uniquement son visage à elle qui subsistait sur les images, comme son visage d'enfant subsistait dans son visage d'adulte, avec la même étrangeté inexplicable. (p 79)
Je t'ai vue parler avec lui. Peut-être que tu pourrais lui parler encore. Peut-être qu'il pourrait te dire comment partir.
Son péché était cousu dans sa voix comme des économies dans une doublure.
Tout ce qu'il avait à lui raconter était nouveau, et pourtant leur amour des langues leur offrait des petits ponts de corde, légers, périlleux, qui leur permettaient de se rejoindre et de se toucher.
Nous ne cessons de poser des questions, dans nos vies, pourtant nous n'accordons pas beaucoup de temps à la pensée de toutes celles que nous n'avons pas soulevées.
Que saisissons-nous des gens, la première fois que nous posons les yeux sur eux ? Leur vérité, ou plutôt leur couverture ?
Peut-on vraiment aimer quelqu'un sans en faire son professeur ? La première fois que cela arrive, peut-on aimer sans tout retenir de l'autre, sans devenir une plaque sensible à tous ses gestes, tous ses mots, ses goûts, ses histoires ?
Plus de parents. Plus jamais sa mère, plus jamais son père. Plus jamais la vie qu’elle avait connue avec eux. Plus jamais les odeurs familières, la mémoire commune, les doigts osseux de Mado entrelacés aux siens. Plus jamais l’enfance.
Que saisissons-nous des gens, la première fois que nous posons les yeux sur eux ? Leur vérité, ou plutôt leur couverture ? Leur vernis, ou leur écorce ? Avons-nous à ce moment-là une chance unique de les percer à jour, où est-ce ce que cet espoir est absolument vain, parce que le premier regard passe toujours à côté de ce qui est plus important ?