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Critique de Rodin_Marcel


Kerr Philip – "Trilogie Berlinoise" - publiée en 1989-1990-1991 pour l'original anglais, cop. 2008 pour la traduction française chez Lattès-éditions du masque (ISBN le livre de poche 978-2-253-12843-4)

L'auteur est un écossais né à Edimbourg en 1956, ayant fait une partie de ses études en Allemagne mais principalement à Birmingham, qui exerça comme journaliste et publicitaire avant de vivre de sa plume à Londres. Il est donc à peu près de ma génération.
Dans ces trois romans, il tente de reconstituer ce qu'il imagine avoir été la vie quotidienne dans l'Allemagne nazie. Pour ce faire, il met en scène Bernie Gunther, un ex-commissaire de police plus ou moins social-démocrate qui a démissionné de la police après l'avènement d'Hitler au pouvoir pour devenir détective privé (refusant toutefois les divorces et affaires conjugales sordides). Dans l'édition du "livre de poche", cette trilogie représente pas moins de 1015 pages (chaque roman occupe environ 300 à 350 pages), soit un effort d'écriture tout de même considérable pour un écrivain.

Le premier roman est intitulé en français "L'été de cristal" (titre original : March violets), et se déroule en 1936, à Berlin, dans les premières années de l'installation et de la consolidation du régime nazi, qui s'installe alors pour durer. Il organise les jeux olympiques à Berlin qui ouvrent le 1er août (alors qu'Hitler a remilitarisé la Rhénanie en mars de la même année sans la moindre intervention française), après que la capitale du Reich qui devait durer 1000 ans ait été quelque peu cosmétisée.
Le détective Bernhard (dit Bernie) Gunther se voit confier une enquête par un richissime industriel, Hermann Six, dont la fille et le beau-fils viennent d'être assassinés dans leur maison toute neuve, et que leur coffre-fort a été pillé, alors qu'il contenait des bijoux que le commanditaire de l'enquête déclare vouloir retrouver à toute force mais dans la plus grande discrétion. Au fil de son enquête, le détective découvre les tensions et rivalités qui règnent entre les différents clans qui soutiennent le régime nazi (même cet industriel puissant désavoue le régime en privé tout en le finançant).
Pour mieux illustrer son propos – et c'est là que le bât blesse – l'auteur n'hésite à insérer des rencontres avec les dirigeants les plus élevés du régime, comme par exemple Goering ou Himmler, ce qui semble totalement invraisemblable. Par ailleurs, il prête à son héros une liberté de ton, une gouaille railleuse, une ironie anti-nazie, et donc une liberté de parole qui me semblent peu crédibles : je n'ai pas vécu à cette époque-là, pas plus que l'auteur, mais j'ai tout de même vécu dans une autre dictature, la RDA-DDR, et je puis témoigner que les gens mesuraient leurs propos, surtout envers les personnes rencontrées pour la première fois… Je ne sais pas si l'auteur peut appuyer ses dires sur des témoignages concrets, peut-être qu'il existait encore une certaine liberté de ton en 1936… Cela m'intrigue tout de même.
Ceci étant, l'auteur dépeint une population allemande plutôt acquise au nazisme, ce qui me rappelle le père d'une amie allemande, Angelika, évoquant amèrement son enfance dans les jeunesses hitlériennes «damals, waren wir doch alle davon begeistert» (à cette époque-là, nous étions tous enthousiastes). L'intrigue est bien menée du point de vue de l'écriture, mais frôle donc souvent l'invraisemblable.

Le deuxième roman est intitulé en français "La pâle figure" (titre original : The pale criminal), et se déroule à la fin de l'année 1938, dans les mois qui précédèrent la "Nuit de cristal", sur fond d'imminente annexion des Sudètes par le Reich.
Une éditrice embauche le détective pour tenter de couvrir les agissements de son fils homosexuel. Bernhard Gunther découvre peu à peu les manoeuvres entourant une série de crimes commis contre des adolescentes répondant trait pour trait à l'archétype aryen défini par la propagande nazie. Finalement, mais on s'en doutait un peu dès le début, il s'avère bien sûr que ce sont bel et bien des nazis qui organisent ces crimes pour les mettre sur le dos des juifs et provoquer un pogrom à Berlin.
Pour démasquer le coupable, notre super-héros doit même accepter d'être envoyé temporairement au KZ de Dachau par Heydrich en personne, ce qui tourne à l'invraisemblance inacceptable : l'auteur dérape.

Le troisième roman est intitulé en français "Un requiem allemand" (titre original : A german requiem) et se déroule essentiellement à Vienne, capitale de l'Autriche, en 1947, deux ans après la capitulation de l'Allemagne nazie. Ce dernier volet de la trilogie aurait pu être le plus intéressant puisqu'il prend pour cadre l'année 1947, deux ans après l'anéantissement de l'Allemagne nazie.
Il commence à Berlin, mais se poursuit bien vite en Autriche, à Vienne, puisque c'est l'année de la mise en place du blocus soviétique de la capitale allemande, ce qui aurait rendu bien difficile le récit qui suit. En effet, l'auteur montre comment les américains "pourchassaient les criminels nazis les lundi, mercredi, vendredi, pour mieux les embaucher dans leurs propres services secrets les mardi, jeudi et samedi". Aux rivalités entre «alliés» américains, anglais, français et soviétiques, s'ajoutent bientôt les rivalités entre différents services américains et accessoirement entre différents services soviétiques, de telle sorte que – rapidement – le lecteur n'y comprend plus rien du tout. Dommage.

C'est dans ce troisième roman que gît «le» passage clé qui est sensé expliquer l'ensemble de la trilogie (pages 897 et 898, début du 28ème chapitre) et tout particulièrement la question de la culpabilité collective du peuple allemand. Rien de bien convaincant, l'auteur reprend à son compte les tentatives d'explication déjà fournies par beaucoup d'autres spécialistes du sujet.

En l'état, ces trois romans constituent probablement une lecture «honnête» d'initiation, l'auteur ayant tenté de maîtriser son sujet à grand renfort de recherches documentaires. C'est beaucoup plus acceptable que le navet des «Bienveillantes» de Jonathan Littel, mais ça ne permet pas de vraiment comprendre le désastre que fut le nazisme. L'auteur s'en tient trop à un seul aspect, à savoir les rivalités entre clans (nazis puis alliés), en se limitant de surcroît assez étroitement à la seule sphère allemande.
La trame policière, l'énigme, est menée de façon hélas très traditionnelle, dans la droite ligne du flic privé américain qui boit beaucoup, tombe les filles d'un claquement de doigts, regarde le monde avec une résignation désabusée tout en ayant tout de même « des principes ».

Bof.
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